• Revu en janvier 2014 :
Des plus abscons au(x) premier(s) visionnage(s), Cloud Atlas marque tout de même par la beauté et la grandeur de son récit. Esthétiquement, les Wachowskis - toujours à l'affut de l'innovation - et Tykwer ont réalisé un excellent travail pour personnifier leurs six époques et six genres cinématographiques différents qui s'entremêlent. En ce qui concerne l'histoire, on est touché par toutes ces destinées qui s'influencent, se font échos ou se dévient, toutes ces situations qui se répètent et évoluent, ces interactions entre les personnages qui ont des parallèles dans d'autres trames,... c'est juste géant. On peut regretter que les liaisons entre les récits emmêlés ne soient pas davantage marquées, et généralement devinées, mais c'est un détail dans cette œuvre, tirée d'un livre jugé inadaptable, qui est résolument grande, ambitieuse, loin d'être conventionnelle, et notable. Par ailleurs, la bande-originale est somptueuse, proposant des pièces classiques belles et opulentes qui empruntent également certaines particularité du film pour ne le souligner que davantage.

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• Critique du 20 mars 2013 :
Je sais : le film a déjà fuité au format Blu-ray un peu partout sur le net mais, depuis le temps que je l'attendais, le voir au cinéma s'imposait. Bravo, une fois n'est pas coutume, aux distributeurs français pour cette sortie retardée, et même à l'ensemble des gros studios qui ont refusé de financer Cloud Atlas, par peur de ne pas avoir de retour sur investissement. Heureusement qu'on ne peut en dire autant de Tom Tykwer et d'Andy et Lana Wachowski qui, depuis 2009, ont essuyé de nombreux refus et désistements dans leur entreprise, sans jamais se décourager et, même, en mettant la main à la poche. Et ça a fini par payer puisqu'ils sont enfin arrivés au bout de leurs ambitions. Les Wachowskis ont toujours impressionné ; visionnaires, même dans la débâcle (Speed Racer), leur sens du visuel novateur, voire expérimental les impose constamment comme référence.

Qu'ils prennent alors les rennes de cette œuvre tarantulesque n'est pas vraiment une surprise. Et même en dépit d'un casting de renom et extrêmement vaste, les studios sont restés frileux. Six histoires d'autant d'époques différentes entrelacées, un département maquillage sur le qui-vive pour transformer les acteurs selon les trames, une intrigue labyrinthique qui s'étend en presque 3h de film ; évidemment, personne n'a pris le risque. Penser argent au profit d'une expression artistique singulière, c'est un peu prendre le cinéma à l'envers. Et pourtant, le trio Tykwer/Wachowskis s'en tire admirablement. Devenant un des films les plus chers du cinéma indépendant, c'est sans aucun doute cette liberté qui fait la force du long-métrage - au vu de l'histoire développée, des acteurs qui croient en leur rôle - mais peut également être sa faiblesse, surtout avec cet aspect un peu "cheap" qui ressort par moments.

Mais quel film. Son démarrage a tout de même laissé planer le doute. Dans la salle, pour le peu que nous étions, la plupart riaient nerveusement sur la première heure, dès qu'ils en avaient l'occasion pour passer un peu le frustration d'être tombé devant un film aussi grandiloquent. Et puis, en s'approchant du nœud central, quand tout commence à s'articuler, tels les mouvements majestueux d'une composition musicale plus grandiose encore, les spectateurs (ceux qui n'étaient pas partis) se sont laissés cueillir un à un par le maelström audiovisuel de l'écran géant, pour ne rattraper leur mâchoire qu'à l'arrivée du générique. Pareillement, j'en attendais beaucoup de Cloud Atlas, mais certainement pas ce que j'ai eu devant les yeux. J'imaginais un ton vraiment sérieux avec une métaphysique poussée et alambiquée, quelque chose de très "grand", alors que, finalement, c'en est presque l'inverse. La comédie est souvent au rendez-vous, et le message s'assemble petit à petit en un propos limpide, malgré l'entropie initiale.

L'intrique, comme dans le livre qui est adapté, établit des parallèles entre les évènements et les personnages. Mais là où le roman récitait les histoires tour à tour, insérée l'une dans l'autre, les réalisateurs adoptent ici une construction plus propice au cinéma, éditant à foison pour permettre d'enchaîner des scènes des six époques continuellement. Adopter la structure du livre aurait clairement était désavantageux vis-à-vis du rythme et des climax et davantage donné l'allure d'une anthologie qu'une seule et même grande aventure. Ce format apporte donc une intensification de cet aspect de synchronicité et d'actions répétées à travers le temps. On en vient même à penser à The Fountain, de Darren Aronofsky, qui présentait également histoire passée, présente, future, liées de causes et conséquences, et trouvant une apogée époustouflante. Néanmoins, le concept d'histoires imbriquées, qui influent sur la vie des personnages qui les découvrent, est peut-être moins mis en valeur ; quelques fois effleuré, mais pas très prononcé. On n'a pas non plus cette ambiguïté de l'auteur, David Mitchell, qui avait trait à l'influence de la fiction sur la réalité. Mais les thèmes traversant Cloud Atlas demeurent inchangés et, des mots de Tom Hanks, sûrement un des acteurs les plus impliqués dans le projet : "[le film/livre] montre de quelle façon nous sommes tous connectés. À travers le temps et l'espace, l'humanité est liée par nos actions, et par ce que nous créons. [...] Adam Hewing écrit un journal [en 1849], lu par Robert Frobisher qui en écrit un morceau de musique [en 1973], familier à Luisa Rey en 1974. Son histoire fait l'objet d'un manuscrit qui est lu par Timothy Cavendish qui en fait un livre [en 2012], et [son histoire à lui] devient un film qui inspire les gens 100 ans plus tard [en 2144], et la plus touchée par ce film finit vénérée comme une déesse pour sa sagesse [en 2321]."

Même si Tykwer et les Wachowskis ont pris quelques libertés par rapport au livre pour les présenter, David Mitchell lui-même a affirmé que ses thèmes en filigrane sur papier n'en étaient que plus lisibles dans le film. Un des principaux étant la réincarnation, qui explique le choix des réalisateurs d'avoir voulu garder les mêmes acteurs dans chaque trame, les faisant ainsi jouer jusqu'à six rôles différents, autant mentalement que physiquement. L'auteur expérimente avec la structure de ses livres ; les metteurs en scènes le font avec les possibilités offertes par le cinéma. Deux médiums adaptés au mieux pour desservir l'histoire.

Venons-en donc aux stars du film, employées comme jamais elles n'en ont eu (et n'en auront sûrement) l'occasion. Tentées dès la lecture du script par le simple principe de prendre part à une œuvre énorme et différente, totalement originale, toutes ses têtes à l'affiche ne sont là que par passion d'un cinéma artistique, qui est exactement ce que promettent les Wachowskis. Tenez-vous bien, on trouve, dans ce film, des acteurs réputés comme Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving, Hugh Grant, Susan Sarandon, mais également des plus jeunes ou habitués de seconds rôles tels que Jim Sturgess (aficionado de petits films indépendants - Heartless, Les Chemins De La Liberté), Ben Wishaw (Skyfall, Le Parfum), Jim Broadbent (tête connue, difficile à replacer - les derniers Harry Potter, par exemple), Doona Bae (Sympathy For Mr. Vengeance, The Host), James d'Arcy (Masters & Commander), Keith David (Armageddon, Riddick), et quelques autres encore...

Si les maquillages ne sont pas tous réussis, certains grossiers donnant un côté parodique au film, d'autres le sont tellement qu'on a parfois vraiment du mal à reconnaître l'acteur derrière, quitte à ne pas du tout le remarquer même en le cherchant désespérément. Assez fort. Les maquillages les plus impressionnants vont même jusqu'à faire jouer un personnage de sexe opposé aux acteurs (Weaving, Berry, Wishaw et Sarandon). Personnellement, je n'y ai vu que du feu ; je tire mon chapeau à quiconque parvient à tous les repérer au premier visionnage (ne seraient-ce que les plus célèbres). Étant captivé par les évènements, cela devient assez difficile, même si ça peut parfois déranger et de sortir un peu du film. Il est alors inévitable de penser à Holy Motors dans cette attitude d'appréhender les trames avec un genre cinématographique propre et de changer l'apparence des protagonistes. Et là où le film de Carrax se contentait d'enchaîner les scènes par effet de style sans vraiment de cohérence, Cloud Atlas construit réellement une histoire épique. Inutile d'épiloguer sur les capacités de chacun des acteurs. Comme dit plus haut, tous ont participé au film non pas par contrat mais par plaisir. Jamais il n'y a de combat d'égo, certains pouvant être pivots d'une des six histoires et simple figurant de quelques secondes dans une autre. Ils campent tous leurs différents rôles avec conviction, et les rendre plus ou moins crédible selon le développement psychologique permis. Dans l'ensemble, le niveau est très bon et suffisamment juste pour nous maintenir dans le film.

Et c'est bien nécessaire car, en plus des époques, on traverse les genres. Ainsi, l'expédition d'Adam Hewing en 1849 emprunte à l'Aventure, le parcours de Robert Frobisher en 1936 tient davantage de la Romance, l'investigation de Luisa Rey en 1973 s'associe au Thriller, les déambulations de Timothy Cavendish en 2012 sont assurément orientées Comédie, le récit de Sonmi-451 en 2144 s'intègre à un monde de pure Science-Fiction, tandis que les découvertes de Zachry en 2321 se font dans un environnement Post-Apocalyptique. On apprécie alors ce travail fait pour adapter la réalisation selon l'époque. De l'univers futuriste digne d'un Tron: Legacy/Speed Racer/Blade Runner, à l'évolution du langage en une forme primitive et simpliste (pas de syllabes inutiles) dans le monde ultérieur. Ou encore cette image un peu vieillotte sur la partie années 70. Sans surprise, les Wachowskis se sont occupés des deux périodes futures - on reconnaît aussitôt leur coup de pâte avec ces couleurs fluos, ces éléments rétro un peu kitschouilles, et une approche dystopique - ainsi que de la première histoire. Tom Tykwer, lui, s'est donc chargé de tout ce qui été plus "courant", soit les récits de 1936, 1973 et 2012.

Du coup, ce qui est intéressant, c'est que les trois réalisateurs parviennent à garder un style de mise en scènes sensiblement équivalent pendant le film. Il y a quelques plans joliment travaillés, et toujours très précis et étudiés. Mais, dans l'ensemble, rien qui ne soit abasourdissant. C'est de ce côté qu'on constate un peu plus la limitation de moyens, avec beaucoup de gros plans pour masquer les incrustations, des effets visuels perfectibles (sauf pour Neo Seoul qui en regorge, donc les ratés sont moins visibles), quelques cadrages banals et un peu amateurs, des effets de caméra presque théâtraux par endroits, et le rendu de certains maquillages.

Heureusement, pour finaliser une harmonisation parfaite de tous ces éléments d'univers éparses, les compositeurs, qui ne sont autres que Tom Tykwer lui-même et ses collaborateurs sur ses précédents films : Johnny Klimek et Reinhold Heil, ont assuré un travail d'orfèvre. Comme d'habitude avec ce brillant trio, la bande musicale est d'exception. Leur difficulté était d'adapter ce qui était décrit dans le livre. Ainsi, on ne retrouve pas ce sextuple solo imbriqué de piano, clarinette, violoncelle, flûte, hautbois, et violon qui progresse jusqu'à un point de symétrie avant de repartir sur les chevauchements dans l'ordre inverse (renvoi directe à la structure même du récit papier), chacun empruntant une tonalité et gamme différentes. Ça a été tenté mais pas jugé assez pertinent pour le film, et ils en sont donc arrivés à cette bande-son majestueuse haute en évocations et émotions, qui progresse par mouvements pour offrir une belle association de couleurs musicales. Le thème principal est grandiose, de ceux qui gravent les images en tête, et s'insère adéquatement dans la pellicule. Selon les époques, il se réincarne avec des sonorités appropriées, d'une symphonie à un chœur solennel, en passant par une tendance électro urbaine et une optique jazzy, ou encore une simple partition pianotée ou de la muzak pour retraités. Assurément, la bande-son brille et s'élève rapidement comme archétype de toute musique de film : elle est riche, varie à de nombreuses reprises, avec une construction propice au déroulement de l’œuvre, et est surtout identifiable entre milles, grâce à son thème mémorable et dépositaire de la grandeur du récit. Et sa réussite est en partie due au fait qu'elle ait été composée avant le film, ce qui fait qu'on ne se retrouve pas simplement avec un thème et des morceaux d'ambiance, mais bien avec une musique réfléchie et en osmose tout du long.

À travers cette retranscription cinématographique de Cloud Atlas, les réalisateurs ont pris des risques et il est clair qu'un meilleur support financier aurait certainement permis de corriger les éléments plus faibles, parfois distrayant au sein de la maîtrise globale. Les Wachowskis repoussaient déjà les limites avec Matrix, ils amènent ici encore leur point de vue visionnaire pour aider Tykwer à faire, en quelque sorte, ce qu'Ang Lee a réussi avec L'Odyssée De Pi ; c'est-à-dire transposer un roman phare, presque jugé inadaptable, en un film qui n'aurait pas pu tomber entre des mains plus habiles. De cet univers extrêmement vaste, les metteurs en scène prennent le temps de construire chacune des histoires, pour aboutir à une œuvre gargantuesque qui parcourt les époques et met en avant des enjeux intemporels.
AntoineRA
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le 17 mars 2013

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