De prime abord, COLD FISH n’a rien d’un film pour enfant. Et pourtant, il ne narre que le récit d’un monde qui change les gens en poissons. Dit comme ça, COLD FISH serait presque aussi accueillant qu’une ballade aquatique en compagnie de tonton Walt et de sa petite sirène. Il n’en sera rien ici. Chez Sion Sono, la mutation en maquereau est irréversible et aucun antidote ne peut permettre de retrouver sa part d’humanité. COLD FISH, c’est davantage l’histoire d’un monde de prédateurs et de proies, de requins et de harengs, d’esclavagistes et de prisonniers. Après tout, il faut bien que les piranhas dévorent quelques poissons rouges pour subsister.


Malsain et gore, puissant et ravageur, sombre et fataliste, ce COLD FISH nous malmène jusqu’au point de non-retour. Pessimiste au possible, il s’impose véritablement comme le revers de Love Exposure ; jusqu’à opérer l’enterrement de l’amour pour que se déchaine la haine. Face à cette impitoyable noirceur, Sion Sono impose son énergie désespérée, son âpreté, quitte à ne laisser aucune place à l’espoir. C’est un film qui sent bon la poiscaille, les viscères et la pourriture. C’est une œuvre amère et enragée où se gerbe le chaos. C’est le portrait d’êtres – esclavagés – incapables de respirer dans ce petit bocal qui leur sert de monde. Face à cette gradation dans la violence et la dégénérescence de l’être, impossible d’échapper au tragique badinage dans un amas de boyaux. Ici, les images se bouffent crues. Point de vernis baroque, simplement l’image indigeste, nue et toxique du réel. Point d’envolée lyrique également, simplement des étreintes violentes, sans amour ni passion.


Œuvre de rupture, COLD FISH nous ramène à la fragilité de l’existence, à cette société dysfonctionnelle qui vide l’âme de toute capacité à aimer. Définitivement un film d’extrêmes – froid, cathartique et poisseux – où le nihilisme du cinéaste s’exprime au travers de ce réalisme outrancier qui oscille constamment entre grotesque et monstrueux. Car ici, on allume les cierges au chalumeau. Et avec Sion Sono, il apparaît nécessaire de mettre les mains dans le cambouis : chez lui, ça découpe sec au point de glisser sur des viscères partout, tout le temps. Et Lars Von Trier n’est jamais très loin dans cette froideur stylistique et ce jusqu’au-boutisme dans la cruauté. COLD FISH, c’est le malaise dans la normalité, la comédie dans la psychose, le drame dans l’horreur et la fascination dans la répulsion. COLD FISH, c’est le reflet d’une société fêlée, dans tous les sens du terme ; le portrait d’un monde en décrépitude où la violence nous glace le sang parce qu’elle semble devenue la norme. Humiliation, victimisation, intimidation, manipulation : COLD FISH se construit autour de ce processus de domination, et de ce renversement qui conduit inéluctablement à la déshumanisation. Cette société du gouffre, c’est aussi celle du Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa.


Sans concession, glauque, austère et brutal, COLD FISH s’impose alors comme un film coupe-gorge, coupe-souffle, coupe-tout. Un peu comme s’il fallait trouver dans la mort une pulsion de vie. Mais faut-il vraiment faire le deuil de l’amour pour réapprendre à vivre ? Guilty of Romance en proposera une réponse contrastée pour devenir à son tour le revers de COLD FISH. Comme une tentative désespérée de retrouver ces fameux battements qui animent les cœurs. Ce poisson froid, c’est peut-être au final notre horizon ; c’est cet humain dévitalisé, déshumanisé, animalisé. Ce sont des rêves qui finissent brisés au fond d’un bocal. C’est l’histoire de ces mortels qui s’empêtrent dans leur aquarium. C’est notre histoire. Celle d’une vie qui ne serait que douleur. Celle d’un monde qui ne laisserait aucune place au bonheur. Sébastien le crabe nous avait pourtant prévenu : « Ariel, écoute-moi, le monde humain c'est la pagaille. » Nous aurions mieux fait de rester sous l’océan ; avant que Sion Sono ne se décide à nous clouer la nageoire au fond d’un bocal.

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le 3 nov. 2020

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