Après le très grand succès de « Ida », Pawel Pawlikowski surfe sur une lancée très poétique et parvient de nouveau à nous émouvoir sur un nouveau front. Le conflit sentimental est pour beaucoup quelque chose de banaliser, notamment lorsqu’on en parle. Mais lorsqu’on le vit, il s’agit d’une toute autre histoire qu’il convient de resituer dans son contexte. Les bras de la passion s’accrochent au cou d’un amant, comme des menottes ligoteraient les mains d’un artiste. On y voir du noir et du blanc dans cette escapade amoureuse et pas seulement dans l’esthétique d’une œuvre qui en dit long sur l’impact du Rideau de Fer. Le contraste entre l’Est et l’Ouest est exploité à souhait, mettant en scène des individus qui ne cesseront de se chercher, jusqu’à ce qu’un couple réussisse là où les précédentes aventures ont échoué.


Et c’est en découvrant une Pologne d’après-guerre qu’on ouvre ce récit qui évoque avant tout la nostalgie et les souvenirs froids. Le drame traverse ces terres et y est resté gravé dans le cœur d’habitants qui cherchent dorénavant à s’épanouir dans une nouvelle ère, une nouvelle vie. Le folklorique s’empare alors rapidement de l’intrigue comme le tremplin qui aligne les personnages dans une danse sensorielle, tout en distinguant le patriotisme, vu comme les principales causes de ruptures dans un monde qui ne demande plus qu’à s’aimer. Zula (Joanna Kulig), au passé trouble, cherche continuellement à aller de l’avant et est prête à tout afin de changer sa condition de paysanne sans intérêt. Et sans pour autant chercher le succès, elle finir par s’ancrer dans un esprit de suffisance qui ne la saisit que dans des instants éphémères, comme si le mal-être la rattrapait dans sa quête d’évasion.




On prend alors soin d’introduire le directeur musical, Wiktor (Tomasz Kot), qui lance ainsi la troupe folklorique Mazowsze. Fruit de sa Pologne natale, le réalisateur y trouve les cicatrices d’une société qui a souffert de la pression communiste. En observant avec attention, on se laisse entraîner dans cette poésie du peuple qui vient affirmer, avec dynamisme, sa liberté et son côté révolutionnaire. L’amour qui découle de ce constat montre bel et bien ce qu’il existe des difficultés dans ce concept encore abstrait, encore inaccessible pour Wiktor et Zula. Elle-même vit dans cette crainte perpétuelle des représailles. Elle trahit pour survivre. De l’autre côté du rideau, le musicien finit par se dépayser, dépassé par son exil et ce qu’il tente de fuir. Tout ceci est induit dans les diverses ellipses que l’on éparpille tout le long de l’intrigue. On en retient le jazz et les scènes intimes qui lient ces deux êtres exceptionnels, où la photographie noir et blanc cristallise leur passage à l’écran.


Si le réalisateur s’est inspiré de ses parents comme squelette dramaturgique, il aura tout de même fait naître des instants magistraux dur les écrans. « Cold War » est pour lui une sorte d’hommage, dont la mise en scène perfectionne ses dires et son discours poétique, portée sur l’instabilité d’un couple et du changement de tempérament, suivant l’environnement qui l’entoure. Et le génie dans l’Histoire, parvient à transmettre un amas d’informations en l’instant d’une image ou d’une courte scène. La mise en scène en dit long et la récompense qui lui est due n’est pas déméritée. Nous avons à faire à un très grand cinéma, qui se veut subtil, sensoriel et universel.

Cinememories
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le 28 août 2022

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