Avant que vous me balanciez "oh, gneugneugneu, le cinéma de Rohmer n'est pas fait pour un demi-cerveau comme toi !", j'ai aimé tous les autres Contes saisonniers du réalisateur parce que dans ces derniers, on n'y retrouve pas (ou très peu !) le défaut rédhibitoire qui peut rendre la vision de certaines de ses œuvres désagréable, à savoir un jeu d'acteurs et d'actrices faux (dans le film critiqué, uniquement d'actrices !), dénuant la moindre once de vie, d'émotion aux personnages incarnés.


Conte de printemps tombe dans ce piège. Sa poignée restreinte de caractères a du mal à gagner en crédibilité à cause de cela. Seul Hughes Quester réussit à insuffler ce qui fait le meilleur du cinéma de Rohmer : une théâtralité déclamatoire, à l'artificialité assumée, mais mêlée à une certaine dose de réalisme dans les expressions et les réactions, faisant comprendre instinctivement au spectateur, ce qui, au-delà du verbe, anime les caractères. C'est dommage que le metteur en scène n'ait pas cru bon de trouver ou de parvenir à diriger des partenaires à la hauteur (notamment, l'actrice principale, d'une fadeur trop irrécupérable pour en obtenir quoi que ce soit de bon !). Vous pouvez sortir tous les marivaudages possibles, aussi savoureux soient-ils sur le papier, tous les débats possibles sur un point de philosophie de Kant, aussi réfléchis soient-ils, si c'est mal interprété, impossible d'en tirer la moindre vérité.


Pourtant, à côté de cela, outre Quester, il y a de bonnes choses, comme cette introduction, sans un mot (c'est en bonne partie pour cela que ça fonctionne !), de quelques minutes, lors de laquelle est présentée visuellement ce qu'est la protagoniste (d'ailleurs, Rohmer reprendra, avec brio, ce procédé narratif dans l'excellent Conte d'été !). Il y a aussi le charme d'une thématique récurrente du Monsieur avec un personnage qui, pour une raison ou une autre, se trouve privé de ce qui fait son intimité (ici son appartement, répondant parfaitement à sa personnalité !) et qui pénètre dans un territoire qui lui est inconnu, par le hasard des circonstances (ici, d'autres habitations !). Oui, il est toujours intéressant de voir un être se pointer dans un monde inconnu de lui, pour scruter ses réactions et celles des autres à son contact. Mais, le jeu d'actrices...


Quant au printemps, certes, il y a quelques arbres fleuris apparaissant dans le jardin de la propriété de campagne et des motifs floraux à l'intérieur. Cependant, ce récit, en dehors de ce cadre décoratif, aurait pu aussi bien se dérouler lors de n'importe quelle autre saison. Autant l'été, par sa chaleur, par le fait que l'on soit moins habillé, a une ambiance poussant spécifiquement à la détente et aux rencontres. Autant l'hiver, par son froid, par sa grisaille encourage à l'isolement et à la réflexion sur soi. Autant l'automne marque le cas concret de la fin de la plupart des vendanges. Autant là, il n'y a rien qui justifie que l'intrigue doit forcément se passer au printemps, qu'elle mérite d'être appelée, en conséquence, Conte de printemps.


Bref, vivement l'été, vivement l'automne, vivement l'hiver...

Plume231
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le 10 juil. 2023

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