Ryūsuke Hamaguchi est inarrêtable et il le prouve avec une force de persuasion dont il a le secret. Après « Senses » et « Asako », il triomphe avec un sublime « Drive My Car », qui possède tout l’aura des contes qu'il a terminé de mettre en boîte en période de pandémie. En revenant avec trois récits, portés par des figures féminines complexes, on retrouve cette précieuse frénésie qui captive et fascine, alors même que la caméra se tient là, immobile, comme le spectre d’un spectateur. Et c’est dans cette même logique de son cinéma nous attire, à la croisée des fantasmes et des coïncidences. Les trois parcours suivent pourtant la même trajectoire et le même élan, poussant les personnages dans leurs contradictions et à affronter leurs sentiments.


Inutile de chercher plus loin, ce qu’il y a à dire est dit. La parole finit ainsi par transcender tous les échanges physiques et peut même se superposer à elles. Une longue conversation en taxi démontre avec aisance la malice et le délice de l’instant, celui qui se perd aussitôt que l’on remet en cause toute la réflexion qui vient d’être faite. Alors que Meiko (Kotone Furukawa) écoute avec attention une déclaration d’amour passionnée, c’est peut-être elle qui tombe finalement amoureuse, c’est peut-être elle qui fait obstacle à ses pulsions. Nous le découvrons dans la simplicité d’un geste et dans toute la sincérité d’un auteur, qui parvient à construire un hors-champ d’une grande précision. Ce qu’il filme n’est que le témoin d’une fantaisie, voire d’un miracle qui s’aligne sur la situation embarrassante que l’on suit, mais sans avoir un arrière pensé pessimiste, bien au contraire. Il évoque ici la « magie », chose qui le conduit peu à peu à laisser « la porte ouverte » aux désirs, avant de conclure « encore une fois » sur une bonne part d’imagination.


Ce n’est donc pas en vain que l’on décroche un peu sur le non-dit, pour justement communiquer ses sentiments à travers les mots d’un autre. Nao (Katsuki Mori) s’applique ainsi dans une lecture froide, avant que toute la mélancolie s’empare du texte et la consume. Et comme cette porte qui ne se ferme pas, on y trouve de l’ironie et donc un véritable savoir-faire dans le dispositif de séduction. Il s’agit d’un jeu magnétique qui repose sur l’attraction et la répulsion. Cela opère magnifiquement dans un deuxième acte qui élève déjà son niveau d’écriture, quitte à simplifier la mise en scène, prenant à chaque fois une grande inspiration. Vient alors l’ultime segment qui synthétise tous ces portraits, dans une tendresse inattendue. Natsuko (Fusako Urabe) semble avoir retrouvé une ancienne camarade de lycée pour qui elle a eu de l’affection. Mais alors que des nœuds apparaissent au fil de leur échange, les masques tomberont et reviendront aussitôt, afin qu’elle puisse faire la paix avec son passé et elle-même.


C’est ainsi que les « Contes du hasard et autres fantaisies » d’Hamaguchi scintillent dans le même mouvement, où le champ-contrechamp figure dans le même plan. Il ne reste qu’à restituer l’amour d’un personnage à un autre, le plus souvent en face de lui, sinon derrière un prétexte qui convoque la mémoire sélective. Certains reviennent en arrière et d’autres ne parviennent pas à descendre du bus, alors que ce qui compte finalement, c’est de reprendre sa route, quitte à prendre un petit détour dans le jardin de l’enfance. Un pas après l’autre, c’est le miroir d’une âme et de l’humanité qui se dessine. Tout ce que le cinéaste fait, c’est de rétrécir son monde pour en exploiter toute la fibre du merveilleux, et cela suffit amplement à bouleverser.

Cinememories
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 22 avr. 2022

Critique lue 108 fois

7 j'aime

2 commentaires

Cinememories

Écrit par

Critique lue 108 fois

7
2

D'autres avis sur Contes du hasard et autres fantaisies

Contes du hasard et autres fantaisies
Sergent_Pepper
7

Convenance des échanges en milieu tempéré

Alors que Drive My Car a fait l’événement de l’année 2021 en France après sa présentation à Cannes, Ryūsuke Hamaguchi avait en réalité présenté quelques mois auparavant Contes du hasard à la...

le 8 avr. 2022

42 j'aime

6

Contes du hasard et autres fantaisies
AnneSchneider
8

Coïncidences, pour le meilleur et pour le pire…

En 1987, dans « Le Hasard », le réalisateur Krzysztof Kieslowski explorait déjà de superbe manière, en une construction tripartite, la thématique du hasard et de ses effets, parfois décisifs, sur une...

le 27 mars 2022

29 j'aime

14

Contes du hasard et autres fantaisies
EricDebarnot
8

Les jeux de l’amour et du hasard...

Il convient sans doute d’être prévenu avant de découvrir ces "Contes du Hasard et Autres Fantaisies" de Ryûsuke Hamaguchi : cet assemblage de trois films écrits et réalisés par celui qui semble bien...

le 10 avr. 2022

28 j'aime

Du même critique

Buzz l'Éclair
Cinememories
3

Vers l’ennui et pas plus loin

Un ranger de l’espace montre le bout de ses ailes et ce n’est pourtant pas un jouet. Ce sera d’ailleurs le premier message en ouverture, comme pour éviter toute confusion chez le spectateur,...

le 19 juin 2022

22 j'aime

4

Solo - A Star Wars Story
Cinememories
6

Shot First !

Avec une production et une réalisation bousculée par la grande firme que l’on ne citera plus, le second spin-off de la saga Star Wars peut encore espérer mieux. Cela ne veut pas dire pour autant que...

le 23 mai 2018

19 j'aime

2