Le long-métrage japonais Ne Coupez pas ! (que j'appellerai par son titre international One Cut of The Dead pour éviter de le confondre avec Coupez ! qui nous intéresse) est une graine de film culte pour certains dont moi. Le fait qu'il soit sorti en France tient à la fois de sa success story inimaginable (1 ou 2 salles diffusaient à Tokyo ce film au budget de 27 000 $ pour sa première semaine, il en a rapporté 27 millions sur son territoire avant d'avoir sa distribution mondiale) et à l'abnégation de fans puisque sa société de distribution française Les Films de Tokyo aurait été fondée spécialement pour sortir ce film chez nous. Ce n'est cependant pas suffisant pour en faire une œuvre mainstream, sa diffusion a été confidentielle et ça se comprend au vu de sa gueule peu engageante. Maintenant qu'on a son remake français 3 ans après sa sortie sur notre territoire, le grand public pourra indirectement découvrir cette perle mais j'avais peur que son intérêt soit léger pour ceux qui comme moi connaissent déjà l'histoire, plus que pour d'autres remakes. Il s'avère que pour ma part ce n'est pas le cas. Pour un avis du film original (qui donne peut-être trop de potentiels spoilers), c'est ici.


Le tournage d'un film de zombie de série Z se passe mal, et ça empire lorsque de vrais zombies se mettent à attaquer l'équipe tandis que le réalisateur profite de l'occasion pour filmer des acteurs qui ne simulent rien. Le sujet se prête naturellement au discours sur le cinéma et la difficulté d'un tournage qui peut se transformer littéralement en champ de bataille, et sur ce point le scénario original se montrait extrêmement malin. Tellement que Michel Hazanavicius a choisi de se montrer particulièrement fidèle, reproduisant scrupuleusement les gags initiaux et même certains plans. Je peux comprendre que les fans de la première heure le déplorent, mais je trouve que ces idées sont suffisamment bonnes pour rester dans le remake : si ce n'est pas cassé, inutile de le réparer. Il s'avère que le scénario continue de me faire rire à gorge déployée, mais c'est sans doute aussi parce que le film original se prête très bien au revisionnage. Je dois quand même dire que j'ai trouvé le début bien plus drôle dans le film français que dans le japonais : ce dernier mettait pas mal de temps avant de vraiment se lancer, j'avais entendu des soupirs dans la salle quand je l'avais vu, alors que Michel Hazanavicius assume tout de suite de faire une parodie de série Z et les gens se marraient bien plus vite. Ce n'est pourtant pas un reproche que je ferai à l'original parce que ce choix se justifiait pleinement, tandis que l'adaptation qu'en fait Hazanavicius est elle aussi la meilleure réponse possible.


(les spoilers ci-dessous peuvent-être lus si vous avez déjà vu One Cut of The Dead ou Coupez !, l'un ou l'autre suffit)


L'original nous donnait l'impression de réellement regarder un film nul et fauché, parce que c'était mal fait et moche mais pas assez pour être drôle (mais c'est peut-être parce que le fait de ne pas connaître le japonais me fait moins ressentir l'aspect nanar des dialogues et du jeu ?). C'était repoussant pour le spectateur, mais ça avait du sens parce qu'on se rendait compte qu'on s'était fait avoir. C'était parfaitement plausible que ce résultat ait été involontaire parce que c'est un film qui ne contient que des acteurs inconnus, d'un réalisateur lui-même inconnu, initialement diffusé dans une seule salle. On voyait moins rapidement la douille même si ça devenait de plus en plus flagrant tout en se demandant comment on avait pu aboutir à un résultat pareil, la chute en était d'autant plus délicieuse.


Sauf que ça n'aurait jamais pu marcher pour un film de Michel Hazanavicius présentant quelques acteurs connus en France, et faisant l'ouverture de Cannes de surcroit. On n'aurait jamais cru que ce début ait pu être une tentative sérieuse et ratée de film de zombie, alors il fallait jouer la carte de la parodie et ça tombe bien puisque c'est la spécialité du réalisateur. On perd probablement en stupéfaction devant la 2e moitié, on a même de sérieux indices en plus avec des cris de techniciens en hors-champ, mais la quantité de galères en coulisses reste suffisamment importante et insoupçonnée pour surprendre le public et celui de ma séance a adoré. Ils ont compris tout de suite la démarche parodique et se sont régalé du résultat.


La lettre d'amour aux séries Z est manifeste : photo granuleuse moche mais lisible, décor vide mais à la colorimétrie travaillée pour valoriser un rouge bien vif et le jaune criard de Bérénice Bejo, des acteurs qui jouent mal juste ce qu'il faut pour êtres drôles (mention à Finnegan Oldfield, et même Bérénice Bejo est irréprochable), des effets spéciaux dont on voit les ficelles et des musiques électro bien kitsch. Ce n'est pas si simple de bien réussir le pastiche d'un nanar : faites-en trop et ça devient plus cynique que drôle, faites en trop peu et vous avez un mélange bâtard qui laisse sur sa faim. Le film sait mettre en avant ces moments d'absurdité incompréhensibles qui ponctuent les nanars, ceux où l'on se demande ce qu'essayaient de faire les artistes et qui nous laissent avec des mystères surréalistes, sans surcharger la mule. On pourra se dire que ça tourne en rond et que ça pourrait être plus imaginatif : je ne m'en rend pas bien compte, j'avais trop One Cut of the Dead en tête pour exiger que ça pousse l'inventivité plus loin et je me réjouissais que mon recul ne m'empêche pas d'en profiter.


Il y a une bonne humeur très communicative et même si Hazanavicius reste très fidèle à l'original il a ses petites idées qui font plaisir, quand bien même ne constitueraient-elles pas un motif de redécouverte à elles-seules pour ceux qui connaissent le film japonais. 9 gags sur 10 sont repris de la source initiale, mais le reste fait mouche et provient d'ailleurs essentiellement de la 2e partie, qui permet au réalisateur d'apporter son propre grain de sel par petites touches.


(les spoilers ci-dessous détaillent des gags propres à Coupez !)


Un petit plan-séquence pour présenter toute l'équipe de champions qui vont s'atteler au film où chacun présente naturellement sa personnalité, ça m'a donné l'impression de voir un de ces thrillers en huis-clos où l'on nous présente ceux qui vont s'écharper dans un jeu de massacre, je trouvais ça fluide et engageant. L'explication du look du personnage de Bérénice Bejo qui est un clin d’œil indécelable à deux films de Tarantino est drôle aussi et montre discrètement l'impasse qu'il y a à faire de la référence juste par fan-service. Les interventions de l'ingé son qui jouent avec la notion de musiques intradiégétiques, c'est un gag que j'ai déjà vu trop souvent sur Youtube mais je l'ai trouvé ici bien intégré, d'autant que la première partie nous aura habitué à les entendre alors que pour la suite ils ne devraient effectivement plus avoir leur place. L'idée fabuleuse de faire référence au film japonais et toutes les considérations d'adaptations qui s'ensuivent, faisant même revenir la fantastique Yoshiko Takehara pour qu'elle reprenne son rôle de productrice tandis que l'on se demande si ce qui marche avec une culture marcherait pareillement ailleurs, c'est bien amené.


Coupez ! est sans doute un peu moins "pur" que le japonais One Cut of The Dead dans sa démarche, mais le but du remake n'est de toute façon pas de le remplacer mais de le faire découvrir à un nouveau public, et quitte à ce que les nouveautés soient peu nombreuses elles ont le mérite d'aboutir à un film qui marche et qui est plus accessible. J'ai mes petits moments que je préférais nettement dans One Cut of The Dead et je regrette que la promo du film ait tendance à oublier de mentionner que c'est un remake : les teasers sont non seulement nuls et sources d'énormes spoilers mais ils vendent "la nouvelle comédie de Michel Hazanavicius", pouvant donner l'impression au public que tout vient du réalisateur français quand bien même il ferait astucieusement référence à son origine. Mais même si je sais que j'aurai probablement aussi bien pu revoir le 1er film, le fait est que je me suis vraiment marré devant celui-là et que la salle était hilare. La dernière fois que j'ai connu une ambiance pareille et que j'ai eu les larmes aux yeux c'était devant... One Cut of The Dead justement.

thetchaff
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le 21 mai 2022

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