L'Espagne ne manque pas de cinéastes talentueux, notamment dans la génération des quadragénaires, mais Carlos Vermut est assurément le plus fascinant d'entre eux, n'hésitant pas à s'emparer de sujets dérangeants, comme dans son quatrième long-métrage. Creaturas est infiniment inconfortable, non par ce qui y est montré mais par ce qui est suggéré, à travers les démons de son personnage principal, illustrateur de jeux vidéo, spécialisé dans la création de monstres en 3D. A mèche lente (trop pour certains, sans doute, qui ne jurent que par le rythme), le récit prend le risque d'une certaine banalité dans la description du quotidien et la naissance d'une relation sentimentale, et semble même vouloir laisser dans l'ombre le secret qui habite son héros (excellent Nacho Sánchez). L'approche est froide, presque à la Haneke, jusqu'à cette incroyable et angoissante quasi scène finale, comme une incarnation d'une lutte intérieure contre le mal. Reste que le film en impose par sa cohérence narrative et la latitude laissée pour l'interprétation de chacun, libre de juger des actes et des pulsions de son personnage principal. Creaturas se caractérise par une exigence certaine dans le refus de la facilité et dans l'examen clinique de l'horreur tapie chez nombre d'humains. Un film où la tension n'est perceptible qu'en deux ou trois passages, tout au plus, mais reste dans l'air durant toute sa durée et stagne encore, longtemps après sa projection.