Au cœur des studios d’Hollywood, dans la cohue, sous les lumières, dans les coulisses du tournage, les petites mains s’affairent. Au milieu de cette frénésie incessante, un vieil homme, statique, hagard, perdu. Autour de lui, convergent les regards curieux et inquisiteurs. Qui est ce vieillard ? Que peut-il bien faire là ? Il ne ressemble plus à grand chose… Mais savons-nous réellement qui il est ? Alors que décline la lumière de la vie, il est temps de profiter des derniers rayons d’un Crépuscule de gloire


Josef von Sternberg, futur grand cinéaste, est en pleine ascension lorsqu’il réalise Crépuscule de gloire. Auréolé du succès des Nuits de Chicago, considéré comme le premier véritable film de gangsters de l’histoire, il s’octroie la confiance des studios et peut œuvrer librement. Voilà donc qu’il recrute Emil Jannings, grand acteur de l’époque, dans le rôle principal, et que voit le jour ce film au discours peu glorieux sur la machine hollywoodienne. Avec ses plateaux immenses, ses décors grandeur nature, et les milliers d’anonymes venant sur place dans l’espoir de s’octroyer un bref moment de gloire ou, simplement, de gagner de l’argent, c’est une véritable ville qui s’anime devant nos yeux. De longs travellings nous font suivre la foule et, au milieu, un vieil homme, hagard, fatigué, tremblant, qui cherche également une place en tant que figurant. On lui donne une tenue de général, puis il sort une médaille de son portefeuille, et l’accroche sur sa veste. Cet anonyme aurait donc un passé prestigieux aujourd’hui ignoré ?


Crépuscule de gloire invoque la vivacité du souvenir, sa pérennité en dépit de l’ignorance du monde extérieur. Car, bien entendu, le film de Josef von Sternberg s’attaque aux rouages de l’industrie cinématographique, mais c’est un film très humain, qui vient rendre sa fierté à ce vieil homme affaibli. Un crépuscule, il en a déjà observé un, du temps où il était général de l’armée russe, cousin du tsar, avant que la révolution ne vienne tout chambouler. A cette époque, il était respecté, il avait un statut, le faisant parfois basculer vers l’arrogance, mais il faisait toujours preuve de justesse et de justice, se préoccupant du sort de ses hommes et ne condamnant jamais sans raison. Sa droiture et sa lucidité sont cependant les premières victimes de la révolution, image de chaos, de destruction d’un ordre établi, en quête d’un nouveau, au prix de longues années dans l’inconnu. Emil Jannings tient ici un rôle très proche de celui qu’il tenait dans Le Dernier des Hommes, autre chef d’oeuvre du cinéma muet, avec cette mise en avant d’un homme attaché à sa fonction et tombant en disgrâce après qu’il l’ait perdue.


C’est donc la révolution russe que Josef von Sternberg invoque pour représenter le chaos. Un chaos qui règne également à Hollywood, terre des espoirs, souvent imaginée comme encore à ses débuts en 1928, et pourtant déjà plus que foisonnante, et intransigeante. Alors que le cinéma se met progressivement à parler, Hollywood est en plein âge d’or, grâce à l’afflux de grands réalisateurs de par le monde, grâce aux progrès technologiques et artistiques, et les producteurs trouvent toujours plus de nouveaux moyens de faire du cinéma une industrie rentable. Et ce, au risque d’exploiter nombre d’anonymes qui tentent leur chance. Ils n’ont pas l’air de grand chose de toutes façons, et leur apparence de quidams malheureux ne leur donne pas beaucoup de crédit ni de valeur. A Hollywood, monde de paillettes, d’apparence et de déguisements, beaucoup espèrent et essaient sans jamais avoir de reconnaissance ni obtenir le respect qui leur est dû. Ce film a bientôt 91 ans, et rien n’a changé pour autant.


Crépuscule de gloire est un grand film. Von Sternberg écorche l’image d’Hollywood tout en livrant un grand drame tournant autour de la révolution russe de 1917, porté par un Emil Jannings en état de grâce, qui remportera d’ailleurs le premier Oscar de l’histoire suite à cette performance. Les pistes de lecture et de réflexion créées par ce film sont nombreuses et intéressantes. C’est un mélodrame traditionnel dans sa structure, mais qui parvient à emporter le spectateur, notamment si vous optez pour la superbe musique composée par Robert Israel. Un véritable lien se crée entre le spectateur et le personnage principal, qui suscite énormément d’empathie. Un long chemin jonché d’épreuves, où le temps a trop souvent tendance à tenter d’effacer leurs traces. Et la valeur d’un homme ne doit pas être évaluée par rapport à l’image qu’il renvoie. Un grand drame d’époque à la postérité bien faible au vu de sa qualité.

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le 12 janv. 2019

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