L’âpre cruauté de la vie dissimulée derrière une apparente légèreté, faisait de “Une seconde mère” un film extraverti à fort potentiel sentimental. Anna Muylaert nous revient cette année avec “D’une famille à l’autre” beaucoup plus nuancé avec une narration qui suggère plus qu’elle ne montre vraiment.


En s’attachant au destin de Pierre et accessoirement (c’est l’un des points faibles du film) à sa petite soeur, tous deux enfants “volés”, la réalisatrice aborde une série de thèmes difficiles. Notamment un qui lui est cher, celui de la filiation et du déracinement (thématique déjà traitée avec “Une seconde mère” et beaucoup plus approfondie dans “L’année où mes parents sont partis en vacances” dont elle avait écrit le scénario). A cela s’ajoute une délicate approche sur l’adolescence, l’éveil d’une sexualité troublée, la disparité sociale, le tout déstructuré par ce contexte émotionnel bien particulier.


Pierre est interprété par Naomi Nero, autant le dire de suite, “D’une famille à l’autre” lui doit tout ou presque. Avec sa silhouette filiforme, son visage émacié et fatigué et ses déplacements vaporeux, il a tout du grand héros romantique. Son détachement affiché n’est qu’un leurre, la fragilité suinte de tout son être. Et si on ne le saisit pas tout à fait, on s’y attache tout comme on le faisait pour le “Alex” de Van Sant, l’ado de “Paranoid park”. On assiste là à une vraie performance d’acteur, rare, qui l'enchaîne à son personnage.


Cette retenue, voire cette pudeur, ne tient pas qu’à l’acteur principal, c’est un choix de mise en scène. Le film se compose d’un assemblage de petites séquences de vie qui mises bout à bout lui donnent un sens, et répondent à nos questionnements. Cette fragmentation de l’action peut toutefois perturber si on l’interprète comme de la froideur. Mais plus exactement, cette distance vient renforcer le récit, puisqu’il se calque sur les ressentis de Pierre. Le malaise est alors palpable, ressenti et partagé.


“D’une famille à l’autre” est globalement un très film. L’interprétation, le choix des morceaux de la bande originale, des lieux de tournage, les quelques bonnes idées de mise en scène… tout y est impeccablement réfléchi. Ce qui est un peu regrettable, est la fait que plus on avance, plus Anna Muylaert s’attache à Pierre, elle laisse en plan la petite soeur. Il y avait pourtant matière à développer quelques scènes intermédiaires avant que Pierre ne s’immerge bon an mal an dans sa nouvelle vie.

Fritz_Langueur
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le 2 août 2016

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