J’ai eu une enfance marquée par Walt Disney. Comme beaucoup. Ma mère appartient à cette génération qui aime l’animation, mais n’assume pas de s’intéresser à un art qu’elle juge enfantin ; alors autant dire que, du jour où je fus assez grand pour aller au cinéma – donc à la sortie de La Petite Sirène – je lui ai volontiers servi d’alibi pour découvrir les nouvelles productions Walt Disney. Mon père, quant à lui, n’apprécie guère l’animation, mais m’a permis très tôt de disposer de mon propre matériel audiovisuel, et surtout a longtemps travaillé en face d’un Disney Store, où j’ai réussi à le trainer suffisamment souvent pour en ressortir avec une impressionnante collection de VHS.
J’ai tellement vu et revu la plupart des Grands Classiques qu’il me serait aujourd’hui impossible de les juger objectivement. J’en aime certains plus que d’autres, et il y en a même un que je déteste. Mais cela reste purement subjectif.
Évidemment, j’ai vu Mary Poppins un nombre incalculable de fois – même si plus depuis plusieurs années – et je le connais par cœur. Par contre, j’ignorais tout de sa conception.

C’est quelque chose que j’ai appris bien après avoir découvert le film : que celui-ci, comme beaucoup d’autres sortis des studios de Walt Disney, était une adaptation, en l’occurrence d’une série de romans écrits par P. L. Travers, une romancière australienne (et non anglaise comme nous pourrions le croire).
En me documentant à ce sujet, j’apprendrai que le célèbre producteur américain demanda un jour à ses filles ce qu’elles aimeraient qu’il adapte au cinéma, ce à quoi elles répondirent Mary Poppins. Les biographes divergent sur ce point, toujours est-il que Walt Disney entame une adaptation de l’œuvre, pour laquelle il a évidemment besoin des droits ; il s’empresse de contacter P. L. Travers, qui contre toute attente, refuse la proposition du pourtant célèbre homme d’affaire, comme elle a déjà refusé une proposition similaire de Samuel Goldwyn. S’engage alors un long combat, duquel elle obtient un tournage en prises de vue réelles et un droit de regard sur le scénario ; elle finit par accepter une offre très avantageuse en 1960. Néanmoins, la production ne se déroule pas au mieux, P. L. Travers doit batailler ne serait-ce que pour pouvoir assister à la première, et pleure devant ce qu’elle considère comme une trahison de son travail ; elle refusera donc, cette fois définitivement, que la suite de ses livres soit à son tour adaptée, ce malgré le succès du long-métrage.

La genèse de Mary Poppins est donc passionnante, et constitue un choix de récit loin d’être saugrenu pour une transposition sur grand écran. Sauf que, Walt Disney Productions étant connu pour garder la main-mise sur son image de marque quoi qu’il arrive, il était bien évident que le projet allait tomber à un moment ou un autre dans son escarcelle. Et dans ces conditions, nous pouvons dire adieu à la véracité historique, au profit du mythe autour de Walt Disney.
C’est exactement comme pour les films de guerre américain. Quand un producteur souhaite monter un long-métrage de ce genre, il peut le soumettre au Pentagone, qui pourra apporter un soutien financier et logistique. Sauf que cette collaboration ne se fait pas sans condition, et que l’armée peut exiger quelques retouches – notamment dans le scénario – avant d’accepter d’apporter son soutien. Inutile de préciser qu’une telle pratique mène aisément à des dérives ; ainsi, Lion Rock Productions fût obligé de supprimer une scène où un soldat dépouille des cadavres dans Windtalkers, sous prétexte que cela donne une mauvaise image de l’armée. Cela ne change certes rien au propos du film, mais reste révélateur d’un état d’esprit déplorable. Pour vous donner un exemple concret, Top Gun a été approuvé par le Pentagone, mais pas Apocalypse Now.

Pour Dans l’Ombre de Mary, c’est exactement ce que je craignais, et c’est malheureusement ce que j’ai eu à de trop nombreuses reprises. Ainsi, P. L. Travers nous est présentée comme une vieille fille irascible, détestant les enfants, et qui n’a jamais réussi à faire le deuil d’un père alcoolique. Alors qu’en réalité, l’amour de sa vie – une femme – vient de mourir au moment où elle accepte la production du film, elle a effectivement élevé un enfant (qu’elle avait adopté), et son père est mort de fièvres ; par contre, son attachement à ce-dernier est manifeste à bien des égards – elle utilise son prénom comme nom de plume – et je veux bien croire qu’elle fût difficile à vivre.
Walt Disney, interprété par un des acteurs américains les plus populaires, nous est lui montré comme un modèle de réussite, un acharné de travail convivial et sympathique, dont les nombreux excès – une chambre d’hôtel remplie de peluches, de la gelée en forme de tête de Mickey, etc… – sont autant de témoignages de son âme d’enfant, lui qui n’a pour seule ambition que de faire rêver les gens. Pendant tout le film, il n’aura de cesse de convaincre une femme bornée du bien-fondé de sa démarche, et de lui faire découvrir la magie de Disney.
En d’autres termes, l’auteur joue le rôle de Mr. Banks, et le producteur celui de Mary Poppins elle-même.

Dans l’Ombre de Mary appartient à une catégorie d’œuvres que je déteste : celles qui induisent sciemment le spectateur en erreur. Le cinéma est un média si puissant, que nombre de spectateurs ne remettront pas en cause ce que ce film leur raconte, et en garderont – consciemment ou non – l’image d’un Walt Disney affable et psychologue, en proie à une romancière tyrannique, laquelle écrit des livres pour un public qu’elle déteste. C’est de la propagande pure et simple.
Je sais que ce long-métrage n’a pas la prétention d’être un documentaire. Il faut le prendre comme une fiction. Sauf que je considère que si les auteurs veulent reprendre des personnages qui existent ou ont existé, et nous présenter ce qu’ils nous racontent comme des faits réels, alors ils se doivent de respecter scrupuleusement la vérité. Et si la vérité est incompatible avec une adaptation sur grand écran ou le souhait des producteurs, alors il faut s’abstenir. Point.
Ce qui est dommage, c’est qu’il reste des éléments à retenir de Dans l’Ombre de Mary.

Pour rendre justice à cette production, il faut mettre de côté sa trahison à l’encontre de P. L. Travers et du public, et se concentrer sur ce qu’elle nous raconte, et surtout comment elle nous le raconte.
Entendons-nous bien, c’est de la guimauve. Et je crois que le réalisateur en joue, n’hésitant pas à en rajouter une couche de temps à autre, pour nous présenter son excès comme un des défauts de Walt Disney. Nous sommes souvent sur le fil du rasoir, avec des scènes qui fonctionnent, transportent le spectateur, alors que nous pouvons effectivement les juger comme d’une mièvrerie sans nom. Ainsi, lorsque les compositeurs des musiques de Mary Poppins arrivent enfin à dérider la romancière, et que celle-ci se lance dans une valse avec le scénariste, c’est à la fois touchant et ridicule. Idem lorsque l’oncle Walt annule tous ses rendez-vous pour l’emmener à Disney World. J’éviterai d’en dire plus, mais les passages de cet acabit ne manquent pas, dont certains affublés d’un symbolisme forcé, comme ceux faisant intervenir une représentation de Mickey Mouse, avec tout ce que le personnage peut incarner. Certes, les productions Disney – et c’est d’autant plus valable aujourd’hui – ont souvent été empruntes de guimauve, sauf que celle-ci est classée PG13 et ne se destine donc tout-à-fait à un public d’enfants.

Par contre, le film est très intéressant dans sa façon de nous faire suivre la conception d’une production Walt Disney – même si, après le traitement infligé à l’auteur, nous pouvons décemment nous interroger sur la véracité du reste – et nous invite à découvrir l’envers du décor. La musique joue énormément, ainsi que la façon de disséminer ça et là nombre d’éléments que nous retrouverons plus tard dans Mary Poppins (comme l’utilisation de l’ombre du père au début). Évidemment, cela suggère que le spectateur doit connaitre l’œuvre en question, sous peine de passer à côté d’une grande partie de ce que Dans l’Ombre de Mary essaye de nous raconter. A titre personnel, j’ai apprécié le travail de reconstitution, et des petits détails comme la présence de l’Academy Award spécial de Blanche-Neige et les Sept Nains parmi la collection de récompenses de Walt Disney (collection qui n’a pas été placée dans le cadre par hasard).
Au-delà de tout ça, il s’agit d’un bon divertissement, efficace, qui m’a même fait beaucoup rire à certains moments, P. L. Travers maniant le verbe avec aisance et adorant faire tourner son entourage en bourrique. Je reste moins convaincu par les analepses, qui sombrent aisément dans le mélo.

Si nous oublions que Dans l’Ombre de Mary (je ne m’habitue pas à ce titre) a été produit par les héritiers de Walt Disney, ce qui l’empêche de s’en tenir à la réalité des faits, il s’agit d’un long-métrage certes trop souvent niais et superficiel, mais qui s’avère aussi plaisant à suivre, drôle, et parfois même touchant. En soi, il ne s’agit pas d’une mauvaise proposition de cinéma, même s’il en existe de bien meilleures. Son seul véritable défaut, c’est qu’elle exige du spectateur de ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu’elle raconte.
Ninesisters
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le 7 mars 2014

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