David Lynch est un monstre du cinéma. Alors que les films du réalisateur ne cessent de matérialiser les démons intérieurs de ses personnages aussi déviants qu’attachants, le documentaire qu’est David Lynch : The Art Life nous dévoile avec sensibilité ce qui se cache derrière cette créativité plasticienne et la provenance de cette vision si singulière de l’art.


Pour cela, David Lynch revient sur son enfance, ses turpitudes et ses premiers pas dans le monde culturel à travers sa passion première : la peinture. Dans un hangar aux abords d’Hollywood, des vestiges de peinture végètent sur le sol. Puis un homme à l’âge avancé, doté d’une grande carrure et d’une mèche blanche hirsute, déambule en quête de trouvaille et de découverte. Cette ombre-là, c’est David Lynch. L’incarnation d’un cinéma aussi psychanalytique que psychédélique. L’auteur notamment de Mulholland Drive, l’une des plus grandes offrandes qu’ait connues le monde du cinéma.


Dans les premiers instants et durant quasiment toute l’intégralité du documentaire, David Lynch ne regardera pas la caméra, comme s’il voulait garder une certaine distance avec nous, trop humble ou trop timide dans la tâche qu’est la description de lui-même. Ses yeux regardent l’horizon, en pleine phase de réflexion et de création. On le voit peindre, peindre et encore peindre : David Lynch est un magma d’idées.


Puis devant un micro de studio, clope à la main, mégots au sol, l’artiste se dévoile. Il ne s’épanche non pas sur l’idée qu’il se fait de son cinéma ou des différentes interprétations possibles qui peuvent être faites sur Lost Highway ou Inland Empire. Non, rien de tout cela. Le cinéaste parle de lui, de son enfance, des difficultés engendrées dans sa vie d’homme, ou de l’amour qu’il porte à ses parents, par exemple.


Que cela soit dans les contrées de Boise ou dans la ville lugubre de Philadelphie, David Lynch se raconte, nous explique ses émotions, les anecdotes qui lui passent par la tête et qui font partie de la mosaïque de moments qui ont bâti l’être qu’est David Lynch : comme ce jour où, en plein bad trip, il arrêtera sa voiture au bout milieu de l’autoroute. Et donc, dans le même temps, David Lynch nous fait découvrir son antre de travail, son intimité artistique et, également, les recoins de sa mémoire, les synapses de l’adolescent qu’il fut. En particulier durant ce moment difficile où son père lui aboie qu’il ne devrait jamais avoir d’enfants lorsque ce dernier trébuche sur la collection d’animaux morts de Lynch pour un projet d’art.


Déjà, pour tous ceux qui aiment un tant soit peu son cinéma, le geste humain est émouvant : voir un fantôme aussi énigmatique devenir d’un seul coup, si humain à nos yeux. Car David Lynch : The Art Life a cette grande qualité d’être pudique. Dans ses premières minutes, malgré la beauté de l’image et la confidentialité de l’endroit, The Art Life s’avère un peu conventionnel dans ses contours avec cette présentation de la vie d’un homme dans un ordre chronologique assez classique.


Cet aspect qui engendre un peu de déception provient aussi de l’attente insufflée par le personnage qu’est David Lynch : le réalisateur de films aussi singuliers que tortueux ne pouvait que cacher des idées sombres et des secrets incroyables, se dit-on. Sauf que, malgré cela, on se rend compte que David Lynch fut un enfant comme un autre, vivant de façon heureuse dans un environnement banlieusard, avec des parents aimants qui ne se disputaient jamais. Puis on passe d’un lieu à un autre, la géographie est mutante chez David Lynch notamment avec les multiples déménagements causés par le métier scientifique de son père.


Ce n’est qu’en Virginie, dans ce décorum grisâtre et un peu miteux que les problèmes vont commencer et qu’il fera de mauvaises fréquentations. Puis, l’étudiant qu’il fut habita à Philadelphia dont les quartiers lugubres et désœuvrés façonnèrent la vision de son art. Et dans cet enchevêtrement de détails familiaux, le documentaire, au lieu de filmer des reconstitutions inutiles, a cette sublime idée de juxtaposer les peintures de David Lynch aux mots prononcés, aux souvenirs personnels : un point d’ancrage où l’art rejoint l’esprit.


C’est à partir de là, que le documentaire acquière une tension humaine, esthétique palpable et prenante. Une dualité commence à s’incorporer alors dans l’architecture du métrage : David Lynch se décrit mais ses œuvres sont encore plus parlantes quand on y ajoute un contexte. Car la beauté abstraite qu’elles peuvent avoir, cache une histoire et de ce fait, ce n’est plus l’homme qui se remémore mais c’est l’artiste qui se met à nu. Son expressionnisme flamboyant nous enchante, sa créativité déborde, à l’image du souvenir de cette voisine en larmes titubant nue sur le trottoir devant ses yeux éberlués de gamin. Ce fut la première fois qu’il vit une femme nue.


De sa bouche, cette scène fut primordiale dans le façonnement de lui-même : « Out of the darkness comes this strangest dream. ». Ou encore, de cette rencontre avec le père artiste de l’un de ses amis ou lors d’un drôle de concert de Bob Dylan où il quitta la salle en plein milieu. Même si le récit peut parfois apparaître anecdotique, le documentaire traite d’une thématique assez géniale : l’importance du passé dans l’imaginaire d’un artiste.


Voir que de nombreuses scènes de films du cinéaste furent inspirées de la vie même de David Lynch avec le portrait des banlieues puritaines américaines (Blue Velvet) ou cette obsession pour les sillons des routes (Lost Highway). C’est donc tout un monde qui se présente à nos yeux : où la description d’une vie devient l’interprétation d’un art.


Et même si beaucoup de monde attend avec une certaine impatience le retour de la saison 3 de Twin Peaks après une dizaine d’années de silence cinématographique, The Art Life nous montre que David Lynch n’est pas qu’un simple cinéaste. C’est même le contraire : cet artiste iconoclaste et éclectique, étudiant parfois indigeste et inintéressant, est venu au cinéma par le plus grand des hasards, par sa volonté perpétuelle de nouveauté et d’expérimentation.


Jusqu’à ce qu’apparaisse Eraserhead : David Lynch nous explique la difficulté humaine et temporelle d’avoir mis en place ce film contre l’avis même de sa famille et les discordes de son couple qui vola en éclat. Toute cette vie de recherches, ses années de sacrifice, ce gamin qui peignait nuits et jours, les problèmes financiers de l’artiste obligé de travailler dans une imprimerie pour n’être qu’un humain lambda, ce sentiment de n’être réel qu’une fois qu’il commence à créer : de là jaillit une émotion à la fois mélancolique et abstraite, où, comme dans les films du cinéaste, les rêves et la réalité se mélangent pour ne faire qu’un.


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le 17 juil. 2017

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