le 27 avr. 2011
Chamanique...
Dead Man, c'est un western halluciné, une échappée mystique et destructrice d'un pauvre comptable (Johnny Depp) brusquement propulsé dans le monde sauvage du far (far) west. Le far west intriguant,...
SensCritique a changé. On vous dit tout ici.
Quand-est-ce qu’un homme meurt ?
C’est là toute la philosophie imposée par Jarmusch.
Mystérieux, mais surtout essentiel, Dead Man reste l’un des films les plus singuliers de son époque. Singulier en ce qu’il propose un genre tout à fait nouveau : l’anti-western. Comme on peut le deviner, il n’est plus question de glorifier la construction de l’Amérique à travers la domination du cowboy sur l’indien, mais bien d’exposer toute la laideur de l’homme blanc et la violence de la société qu’il institue. L’échec du colon s’incarne ici dans le voyage de William Blake, de Cleveland jusqu’aux enfers de l’Ouest, où il y trouvera la mort, dans un fatalisme purement américain. Ce voyage est unique en ce qu’il devient une véritable méditation sur la quête d’identité d’une population tiraillée entre la brutalité capitaliste et la transcendance tribale. La photographie signée Robby Müller (Paris, Texas) et la BO apocalyptique de Neil Young suffisent à brouiller davantage les frontières entre les genres, faisant de Dead Man un OVNI filmique spectral où l’errance initiatique de l’anti-héros ouvre la voie à un paradoxal retour à la pureté.
Le cadre spatio-temporel du film est volontairement imprécis. On est loin des frontières nettement balisées du western classique : Jarmusch installe son récit dans un univers en noir et blanc quasiment intemporel. William Blake arrive pourtant dans la ville de Machine, déjà gangrenée par l’industrie et la mort. L’Ouest apparaît alors comme une véritable désillusion, un territoire où l’humanité semble avoir déjà failli. Tout y est flottant : le récit oscille entre l’historique et le mythique, comme un entre-deux qui reflète la dimension presque christique du protagoniste.
Ce protagoniste est d’ailleurs aux antipodes de ce que l’on pourrait légitimement attendre d’un héros de western : il traverse le film sans jamais incarner la puissance ou la maîtrise traditionnellement attribuées au cowboy hollywoodien. En revanche, les figures classiques du genre sont bien présentes (chasseurs de primes, shérif, patron d’usine) mais Jarmusch les réduit à des caricatures grotesques et violentes, achevant de fissurer la mythologie américaine. Le voyage de Blake n’a rien d’une conquête : c’est une fuite, une dérive. Privé de sa moelle épinière, le western devient un miroir déformant et sans doute déjà brisé de la culture américaine.
Chaque rencontre de William Blake vient effriter un peu plus le récit national américain. Les chasseurs de primes incarnent une brutalité sans code ni honneur, le patron d’usine un capitalisme décomplexé, et Nobody révèle l’irréconciliable fracture entre l’homme blanc et le peuple autochtone. Jarmusch dénonce ainsi une Amérique prétendument fondée sur l’héroïsme, mais en réalité bâtie sur l’exploitation et le génocide.
Dead Man propose un voyage initiatique inversé : Blake est en réalité un « mort en sursis » qui chemine vers son propre effacement. Au fil de ce parcours spirituel, il se dépouille progressivement de son identité, de son passé et de son rôle social. Le film s’apparente ainsi à un rituel funéraire, une traversée du fleuve reliant le monde des vivants à celui des morts. Le personnage de Nobody fait figure de passeur, presque de guide spirituel, et offre un traitement cinématographique radicalement différent des représentations habituelles des amérindiens : lettré, complexe, ambigu, il voit en Blake la réincarnation du poète anglais.
Dead Man est sans doute l’une des déconstructions les plus poétiques et les plus incisives d’un genre cinématographique qu’il m’ait été donné de voir. En transformant le récit de la conquête de l’Ouest en une lente marche vers la mort, Jarmusch inscrit son film dans une méditation profonde sur l’histoire américaine, tout en réhabilitant un point de vue amérindien longtemps occulté. Mais ce qui demeure de Dead Man, c’est avant tout la manifestation d’un génie singulier : celui qui ouvre pour le spectateur l’accès au monde de l’entre-deux, l’entraîne dans un devenir-spectre où l’image elle-même se dédouble, jusqu’à ce que le réel ne soit plus qu’un pli, une oscillation fragile entre deux rives que nul vivant ne peut véritablement habiter.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 Films
Créée
le 16 nov. 2025
Modifiée
le 16 nov. 2025
Critique lue 87 fois
le 27 avr. 2011
Dead Man, c'est un western halluciné, une échappée mystique et destructrice d'un pauvre comptable (Johnny Depp) brusquement propulsé dans le monde sauvage du far (far) west. Le far west intriguant,...
le 12 sept. 2014
Quelques petites années après le chant funèbre orchestré par Clint Eastwood par le biais du magnifique "Unforgiven", Jim Jarmusch donne à son tour sa vision toute personnelle du western, sorte de...
10
le 3 janv. 2016
Un pied devant l'autre, il s'agira de descendre du train sans trébucher, puis d'avancer à travers les nuances de l'un des bouts du monde, entre tradition et modernité, vers les derniers bras tendus —...
10
le 4 oct. 2025
« Érotisme soft et vieillot », « casting désastreux », « adaptation édulcorée de la nouvelle de Schnitzler », « conclusion décourageante et frileuse », « un film plus largué que crépusculaire » :...
NOUVELLE APP MOBILE.
NOUVELLE EXPÉRIENCE.
Téléchargez l’app SensCritique, explorez, vibrez et partagez vos avis sur vos œuvres préférées.

À proposNotre application mobile Notre extensionAideNous contacterEmploiL'éditoCGUAmazonSOTA
© 2025 SensCritique