William Lamers, Shéhérazade des temps modernes

William Lamers a été condamné pour double homicide volontaire à la peine de mort par injection létale. 20 h 00, soir de son exécution, il lui est accordé le droit de dire quelques mots avant de passer de vie à trépas. Mais une faille dans la loi ne précise pas combien de temps peut parler un condamner avant son exécution. C'est alors que William va parler. Encore et encore, ne pouvant être exécuté tant qu'il n'a pas fini. L'histoire de ce Shéhérazade des temps modernes qui, jour après jour, tente de gagner un sursis va intéresser les petites gens mais également un gouverneur qui va se servir de cette "attraction" pour s'attirer les voix de ses électeurs.


Dead Man Talking est un film très difficile a définir. On parle souvent du surréalisme à la belge, une sorte de melting-pot des genres comme ceux qui ont fait C'est arrivé près de chez vous. Ce mélange de drame et de comédie avec un soin tout particulier accordé aux personnages et à leurs histoires ordinaires qui deviennent extraordinaires. Voilà comment définir ce film. Un mélange des genres. Le sujet de départ est lourd, la réalisation est appuyée, les couleurs de la prison sont ternes et les personnages malsains. Et pourtant, on se trouve à rire de l'idiotie du gouverneur, du gardien de prison un peu bêta ou tout simplement du ridicule de la situation qu'une simple faille dans un texte de loi peu produire. La réalisation se vaudra dès lors plus légère, les couleurs plus chatoyantes (on à l'impression d'être dans un univers onirique proche du conte de fées), les personnages gagneront peu à peu en sympathie au point de ne plus vouloir les quitter.


Dead Man Talking vous fera passer du rire aux larmes (et je suis très difficilement touché par ce que je vois en général sur le grand écran) avec au final un sentiment de joie intense. Le sentiment d'avoir assister à un vrai film fait par un passionné qui a fait mijoter cette idée dans sa tête depuis plus de 10 ans et qui ne l'a pas sorti avant d'être sûr que l'ensemble allait être parfait. Et tout est parfait. Les thèmes abordés et la manière dont les différents protagonistes vont se remettre en question suite aux quelques moments qu'ils auront passé avec l'homme-mort qui parle. L'humour également qui marche à tous les coups, servant à alléger un film qui aurait pu être étouffant. Ça commence par un meurtre de sang-froid sous une pluie battante avant d'enchainer avec le soir de l'exécution dans la prison la plus glauque imaginable. S'il n'y a pas un peu d'humour, on se tire une balle avant la fin de la séance. Et c'est la justesse qui fait que cet humour fonctionne si bien. Faire un film sincère ne peut fonctionner que si on s'entoure gens qu'on apprécie énormément.


Et on peut dire que Patrick Ridremont s'est fait plaisir. Tout d'abord, parlons de lui. Champion du monde d'improvisation en 1999, auteur de capsules humoristiques, voix-off que "tout le monde reconnait mais que personne ne connait" (les Belges, tendez l'oreille, une pub sur deux à la radio, c'est lui) et acteur de théâtre. Avec un tel bagage, je n'avais pas peur de savoir s'il allait être bon ou non dans ce rôle. Ce n'était donc pas une surprise de voir qu'il pouvait jouer aussi bien. Ce qui m'a surpris par contre, c'est d'apprendre qu'il maîtrisait avec brio l'art du drame comme celui de la comédie. C'est lui le fameux Dead Man Talking, un homme qui maitrise un talent du monologue et de l'émotion.


On enchaîne avec les "potes". Olivier Leborgne, chroniqueur radio, acteur, auteur et également voix-off, c'est un des plus proches amis de Patrick Ridremont. Il joue ici un expert en loi, celui qui trouvera la faille à exploiter et ainsi conseiller le gouverneur. Look ringard et air bougon, le simple fait de le voir fait rire. Ensuite vient Virginie Effira, ex-femme du réalisateur. Pas besoin de la présenter aux Français étant donné qu'elle est déjà plus connue. Elle incarne ici une femme froide, conseillère en communication du gouverneur. C'est un peu la "méchante du film". Elle n'inspire aucune sympathie, elle fait froid dans le dos. Tout du long du film, son air austère et pincé lui confère une aura déplaisante. Et Efira prouve qu'elle peut-être à l'aise dans ce genre de rôle à contre-emploi. Ensuite, Jean-Luc Couchard. Comédien belge que nos amis Français ont sans doute déjà aperçu. Il est le gouverneur. C'est l'atout comique du film, il représente tout ce qui ne va pas en politique. Il est bête, ne sait pas trop ce qu'il en est de toute l'histoire mais il est manipulé par ses conseillers pour être élu et ainsi n'être qu'une victoire en plus à ajouter à leur palmarès. Enfin, Denis MPunga est Julius, le gardien de prison qui s'éprend de sympathie pour William. Homme au cœur tendre, il représente selon moi le spectateur, tant celui dans la salle de cinéma que tous ceux qui évoluent l'histoire du film. Celui qui aime Williams et qui ne veut pas le voir mourir, impuissant face à une situation bien au-dessus de son rôle de gardien qu'il va devoir s'évertuer à maintenir et ce, même si c'est difficile pour lui.


Autour de cette distribution belge, voici que s'ajoutent deux pointures du cinéma français dont le talent n'est plus à démontrer. François Berléand, le directeur de la prison. Blasé, rétrogradé pour une raison obscure, il veut juste que son travail soit terminé pour rentrer dans ses pénates. C'est un homme qui a perdu la petite flemme qui faisait qu'il se réveillait tous les matins et qui au fur et à mesure, et à travers l'histoire de William, réapprendra à vivre. Ici, l'interprétation de Berléand est excellente (mais tous les comédiens du film le sont de toute façon). Malgré la gravité du personnage, ses interactions avec les autres font rire de même que ses manières "je m'en foutistes". Un personnage qu'on aurait aimé détester bien que ce ne sera jamais vraiment le cas.


Et enfin, dans le rôle de l'aumônier, pour ce qui sera son dernier rôle, Christian Marin. Venu procurer les derniers sacrements à William, on voit un prêtre un peu tête en l'air, très attachant de par son côté taquin et toujours animé par cette petite lueur dans l’œil que lui prodigue Marin qui montre à quel point il s'amuse dans ce film. L’aumônier est drôle parce que Marin y est juste. Et la boucle est bouclée avec cette justesse dont je vous parlais plus haut.


J'aimerais vous parler du film plus en détails comme je l'ai fait et le ferai pour d'autres. Vraiment j'aimerais. Mais ce serait vous gâcher ce spectacle splendide, cette fable d'un homme qui n'était que du vide et qui a eu la chance, l'espace de quelques instants volés, de devenir quelqu'un. Un homme qui n'aurait jamais pu croire que sa vie qui lui semblait si normale allait toucher un pays entier. Un homme qui rêve juste d'une liberté et qui raconte pourquoi ça n'a jamais pu se faire. Et une fois le film terminé, avec le monologue final de William bouleversant de beauté, vous ressortirez malgré tout de ce spectacle, qui semblait au début triste, avec un sourire aux lèvres. Contents d'avoir pu vivre aux côté de William une partie de son existence et d'avoir été les témoins d'une véritable leçon de vie menée d'une main de maître. Un grand grand bravo à Patrick Ridremont pour son rêve devenu réalité, pour le succès plus que mérité de son film et surtout, merci pour le voyage.

Jeremkre
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le 9 févr. 2017

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