En s'inspirant de de cas avérés d'amnésie (causée par le traumatisme de la guerre), Ermler parvient à livrer un film de propagande assez original et prétexte aux nombreuses expérimentations russes typiques de l'époque. Ainsi lorsque les souvenirs reviennent au héros, les fulgurantes accélérations du montage avec des plans d'une ou deux images sont tout à fait justifiées psychologiquement ; de même que plusieurs effets très inspirés sur la profondeur de champ et l'utilisation de flous ainsi qu'une première partie baignant volontiers te symboliquement dans l'obscurité avec là encore une certaine virtuosité comme ses phares balayant les environs d'une gare enneigée.
Et pour l'histoire, elle est également assez habile en présentant cet amnésique faire face à un saut temporel de 10 ans sans qu'il ait eu l'occasion de saisir les effets de la Révolution qu'il n'a pas connu. Ainsi quand il rend visite à son ancien patron d'usine pour retrouver son poste, il ne comprend pas pourquoi ce dernier traîne pathétiquement en pyjama et complétement reclus chez lui, pas plus qu'il ne comprend qui dirige vraiment la fabrique d'autant qu'il ne trouve pas Mr Fabkom (l'abréviation de Fabrichny komitet). C'est assez astucieux et moins démonstratif que d'autres films de l'époque d'autant que la présentation des personnages est moins manichéenne qu'on aurait pu croire (l'ancien patron est presque touchant et un employé boit de l'alcool entre les machines).


La narration est un peu brouillonne au début où les repères ne sont toujours pas évident entre 1917, 1918 et 1928 avec en plus une fausse piste sur le protagoniste principal qui n'est pas celui qu'on imagine (un jeune soldat secouru). Une fois que le vrai héros est identifié et revient au bercail, le film gagne en intensité dramatique avec quelques moments remarquables même si le film n'est pas avare en séquences brillantes durant la première partie comme ce moment stupéfiant (et jamais reproduit depuis à ma connaissance) où le blessé assoiffé va téter une chienne qui vient d'accoucher (et qui sera froidement abattue par les troupes impériales laissant ses chiots orphelins).
Le final enfin ne manque pas de puissance mais à un niveau plus intimiste lorsque que le héros retrouve enfin sa fiancée qui s'est remariée à un bourgeois cynique et violent pour une séquence qui explique le titre (Débris d'empire). La gestion des focales, de l'espace, des gros plans et du montage composent une symphonie visuelle d'une grande maturité appuyée par l’interprétation sensationnelle de Fyodor Nikitin, impeccable du début à la fin.

anthonyplu
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le 19 déc. 2017

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