La seconde guerre mondiale, dans laquelle les Etats-Unis s’engagent dès décembre 1941 et l’attaque de Pearl Harbour, eut des conséquences durables sur l’industrie cinématographique Hollywoodienne. Toute l’énergie de la nation est accaparée par le conflit, et les professionnels du cinéma participent également à l’effort de guerre. Outre ceux partis combattre (ce qui eut évidemment pour conséquence la disparition de nombreux artisans du cinéma à tous postes), acteurs et actrices restés en Amérique furent aussi mis à contribution.


Les tournées entreprises par certaines immenses vedettes, parmi lesquelles on compte notamment Marlene Dietrich et Rita Hayworth, en constituent l’un des plus célèbres exemples, avec la "Hollywood Canteen", cofondée entre autre par Bette Davis, un club-restaurant dédié aux militaires où beaucoup de stars aidèrent.


Durant la période, on continue toutefois à tourner des films. Il est alors nécessaire de s’adapter à la fois au contexte et au public – majoritairement féminin. En 1944, David O. Selznick écrit le scénario et produit « Since You Went Away », un film de mariage où Claudette Colbert, après quelques négociations, est associée au rôle principal. La ravissante Jennifer Jones et la pétillante Shirley Temple rejoignent également le casting.


Le film nous ramène à l’entrée en guerre des Etats-Unis. Tim Hilton, mari et père modèle, part pour le front. Les adieux sont déchirants pour sa femme, Anne, et leurs deux filles adolescentes, Jane et Bridget. À peine est-elle rentrée chez elle que le manque se fait douloureusement ressentir pour Mrs Hilton, désemparée.


Et pourtant, la vie continue et il faut faire face.


Le film, d’une durée de 3h, fut à l’époque le projet le plus coûteux de l’histoire d’Hollywood, après « Autant en emporte le vent », déjà produit par Selznick. Il s’agit d’une grande fresque dédiée au quotidien de ceux, et surtout celles, qui restent à l’arrière, et en même temps, d’un puissant outil de communication pour encourager les initiatives civiles visant à participer à l’effort de guerre.


Afin de développer ce message, le réalisateur, John Cromwell, déploie tout une galerie de personnages et noue une série d’intrigues, ou simplement, de petites histoires qui vont émailler le récit. On se concentrera ainsi tout d’abord sur le personnage de Claudette Colbert, une mère quarantenaire qui doit tenir sa maison et assurer l’éducation de ses filles, alors que son mari s’en va et que ses revenus s’amaigrissent. Au fur et à mesure de l’histoire, l’on opère un passage de flambeau et c’est à Jennifer Jones de prendre le relai : fraîchement diplômée de lycée, la jeune fille contribue à l’effort national en servant comme infirmière, et vit ses premiers émois amoureux. Outre ses deux rôles principaux, Cromwell expose une série de seconds rôles correspondant à autant d’archétypes : le militaire gradé à le retraite, qui entretient des relations conflictuelles avec son petit fils, gauche et introverti ; l’ami de la famille ; ou encore la commère, une pie bavarde pour qui tout ceci n’est qu’un jeu.


Le film se donne les moyens de ses ambitions et propose des décors à la fois variés et imposants, de la cantine militaire au grand hangar d’aviation reconverti pour l’occasion en salle de bal géante. La photographie, très soignée, est signée Stanley Cortez et surtout Lee Garmes, qui travailla notamment avec Josef von Sternberg, et fut récompensé d’un Oscar en 1933 pour le travail splendide accompli sur « Shanghai Express ».


« Since You Went Away » est très long – presque trois heures – mais le film est une réussite, et l’on ne s’y ennuie jamais. À la manière d’un « Autant en emporte le vent », nous suivons les péripéties et la vie d’une famille pendant la deuxième guerre mondiale, ses joies, ses peines et son évolution. L’on y trouve deux très bonnes interprétations, de la part de Jennifer Jones, et surtout, de Claudette Colbert. Cette dernière était d’abord réticente à l’idée de jouer une mère dans la quarantaine, mais fut finalement convaincue par Selznick qui lui soutint que le film aurait un réel effet sur le moral à l’arrière (et lui offrit un salaire de 150 000 dollars).


Le film, qui appartient au sous-genre du "film de mariage", démontrent les mutations que subirent le genre et qui allaient définitivement changer la manière de traiter le sujet. La principale différence est la prise en compte du contexte de l’époque : contrairement à ce qui se faisait jadis, où le film de mariage était relativement intemporel, ceux-ci allaient désormais accorder une place plus importante au contexte, à l’actualité de l’époque où ils se situent. Conséquence de l’absence des hommes, partis au combat, le film fait la part belle aux vedettes féminines, qui sont les héroïnes de l’histoire.


Avec « Since You Went Away », John Cromwell signe une belle réalisation, un film de guerre centré sur la vie à l’arrière pendant le plus grand et meurtrier conflit de l’histoire. Outre sa dimension patriotique et d’outil de communication, vantant notamment les mérites de l’action des femmes pour soutenir l’effort de guerre, il place celles-ci au cœur du récit, s’adaptant ainsi au public de l’époque. On pourra lui reprocher quelques lourdeurs, des seconds rôles masculins pas toujours au niveau de leurs homologues féminins, et un final trop tire-larmes. Néanmoins, le film constitue une belle épopée, et offre un point de vue original concernant le traitement de la seconde guerre mondiale au cinéma.

Aramis
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le 10 juil. 2015

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