Même quatre ans après la sortie de ce film, il n'est pas trop tard pour rattraper le wagon de la critique (jeu de mots douteux j'en conviens), alors je me lance.
Ce film me parait avoir coché toutes les cases de la réussite, et ce principalement autour de trois axes choisis de manière purement discrétionnaire : sujet, crédibilité, beauté.


I - Sujet


Certes, c'est un film d'horreur, à suspense, tournant autour d'une épidémie transformant les morts (et les vivants contaminés) en zombies. Jusque là rien d'original sur le postulat, mais on se garderait bien de clamer d'avance que l'on pourrait prédire les thèmes qu'impliquent un tel sujet.
En effet, certains films peuvent se concentrer, ou du moins traiter accessoirement, sur l'origine de la maladie (Je suis une Légende) ou le comportement des mort-vivants (Land of the Dead), ce qui peut changer l'intrigue du film, là où les protagonistes tentent parfois simplement de survivre de leur côté (vision "micro" du film) ou à l'extrême opposé, d'éradiquer l'épidémie en se posant en sauveurs de l'Humanité (vision "macro"). Ici, peu voire pas d'explications sur les causes de la maladie, les remèdes possibles et la question du comportement ne sert que de pur accessoire aux héros afin de leur permettre de progresser dans leur survie.


Ensuite, le sujet du film a un noyau dur de personnages principaux (le duo père-fille), auxquels s'ajoutent d'autres protagonistes dont on peine à dire, à leur arrivée, s'ils auront une grande "durée de vie" et une importance scénaristique pour la suite, ce qui fait également le charme du film, rendant imprévisible le sort exact des personnages, auxquels on pourrait trop vite s'attacher avant de les voir tragiquement disparaître. Ce choix de l'entraide entre des inconnus est également plus propice au développement des émotions et interactions entre eux, plutôt qu'ils s'étaient liés par une histoire commune ancienne imposée mais non explicitée par le film, qui servirait de prétexte justifiant les émotions de X envers Y.


Enfin, sur le lieu, le sujet choisit de se confiner dans un train, dont le caractère mouvant permet tout de même de donner une dynamique "d'avancée" aux personnages (et de créer la tension/l'espoir que l'éloignement vers une autre zone sera favorable, plutôt que la contemplation et l'attente passive dans un lieu statique qui ferait piétiner les personnages) tout en restant entre quatre murs, s'imposant ainsi des contraintes physiques dont on est curieux de voir si elles ne risquent pas de créer un sentiment d'ennui et de répétition à la longue. La combinaison de ces trois unités d'intrigue/de lieu/d'action rend d'ores et déjà le film attractif par ses choix.


II - Crédibilité


Une fois certains choix opérés, encore faut-il qu'ils soient assumés et traités de manière cohérente pour rendre l'immersion du spectateur complète. Que cela soit sur petit ou grand écran, on croit toujours qu'il existe des "canons" en la matière, un moule commun aux films de zombies dont sortirait des recettes permettant de contenter le spectateur ou de "satisfaire" ses attentes vis-à-vis de ce genre artistique. Il est cependant heureux et rafraichissant de constater que "Dernier train pour Busan" ne vire pas aux clichés et arrive à renouveler quelque peu (ou du moins, donner l'illusion de se renouveler) le genre.


(i) Sur les émotions/réactions des personnages



  • Comme dans beaucoup de films du genre, les personnages ont tous plus ou moins une histoire banale, avec son lot de difficultés (ici, père divorcé, dont le travail prenant dans la finance l'éloigne de sa fille) les rendant à priori "sérieux" car leurs faiblesses pourront servir de scènes de crises émotionnelles exploitables, les rares comédies zombies reposant plutôt sur des personnages dont les problèmes peuvent être tournés en dérision (Shaun of the Dead, et son duo de colocs sans le sou). La multiplicité des protagonistes entremêle les histoires, sans que le détail apporté sur la bio de chacun ne soit excessif, ce qui permet de rester à la surface (sans trop se perdre) tout en étant suffisant pour fonder des bases solides expliquant les choix des héros (les deux soeurs âgées dévouées, le jeune sportif et son amie supporter, la femme enceinte et son mari).


  • On pourrait considérer qu'il n'y a rien d'original ni de surprenant dans le traitement des émotions des personnages, avec d'un côté une majorité "ventre mou", apeurée, moutonnière, égoïste et pointant du doigt le danger sans de réel système organisé pour riposter, et de l'autre, une minorité active, qui se relève pour aider le voisin tombé au sol à 2 mètres du zombie et traverser les wagons plutôt que d'attendre les secours. Mais les deux camps sont animés des mêmes craintes et désirs, ce qui fait que notre empathie ou antipathie n'est guidée que par notre perception subjective de la justesse des choix faits par l'un ou l'autre camp. Evidemment, difficile de se prendre d'affection pour la majorité qui est anonymisée et finit par se retourner contre les héros, mais la cruelle banalité des réactions de la masse est une brillante marque de réalisme, évitant ainsi les écueils du "la fin du monde rend forcément les gens fous furieux" (à l'exception peut être d'un individu en costume cravate).


  • Sans passer au crible chaque élément de personnalité des personnages, il en ressort que leur gestion est logique et originale, deux qualités précieuses au sein d'un genre où il est facile et tentant de prêter des traits farfelus ou exagérés (tant dans la mollesse que dans la violence) aux héros. Logique d'abord car les convictions des personnages sont inébranlées et sont tout au plus mises en exergue par la situation de détresse intense : les deux vieilles soeurs sont douces mais avant tout fusionnelles, la disparition de l'une d'elle poussant l'autre à un geste forcément tragique // le jeune sportif et son amie supporter sont volontaires (le premier ne rechigne pas à aider à dégager le wagon et la seconde croit bien faire et rassurer en prévenant les voyageurs que de l'aide est en chemin) mais leur lien préexistant prime (ils ne cherchent pas à retrouver le groupe séparé après le déraillement du train). Cette attention portée aux personnages secondaires doit être saluée car elle rend l'immersion bien plus forte, le spectateur pouvant s'identifier à d'autres que le héros et mesurer les attitudes de chacun par rapport aux personnages principaux.
    Originale ensuite, car les interactions entre les personnages ne tournent pas à l'affrontement cliché entre deux "grandes gueules", aux coups de poignard dans le dos téléscopés ou aux dialogues apocalyptique sur la fin du monde mais demeurent centrés à l'échelle du train, ce resserrement de l'action et des émotions à ce moyen de transport conservant ainsi la fraicheur des personnages et renforçant leur réalisme. L'esquisse délicate d'une "lutte des classes" ou tout du moins de la distorsion des réactions selon le milieu social du personnage (la relative gêne de tous les personnages vis-à-vis du personnage visiblement sale et sans abris/ le mépris du mari par rapport au métier du héros et son impact sur sa relation avec sa fille) agrémente le film d'une dimension sociétale (la persistance des clichés sociaux) sans l'alourdir par une référence excessive.



(ii) Sur les caractéristiques des morts-vivants


Parfois, les "monstres" en question ne sont qu'évoqués, mais invisibles, la simple connaissance de leur présence et les jeux d'ombres maintenant le sentiment de peur voire l'accentuant (Monsters), parfois ils ne sont montrés que très furtivement, mais tout de même montrés, pour imprimer l'idée que la survie, même difficile, est plus enviable que la mort (Infectés). Majoritairement cependant, ils sont bien présents à l'écran et pourchassent activement les survivants. Leurs caractéristiques appartenant à la science-fiction, il y a moins de "canons" sur leur représentation que sur celle des humains vivants, outre leur laideur, point commun universel aux zombies.
Tantôt rapides, ultra agressifs, et résolument monstrueux, tantôt lents, plus ou moins sensibles à tel ou tel signal et au physique encore proche de leur forme humaine (Night of The Living Dead), le zombie doit avant tout inspirer la peur et être difficile à vaincre pour justifier l'emploi d'armes élaborées ou une organisation réfléchie. Ici, le parti pris semble finalement être celui d'un zombie très "humain", d'abord par son faciès mais ensuite parce que la majorité de ses capacités physiques sont égales à celle d'un humain normalement constitué (force, rapidité, ouïe, résistance aux chocs) avec quelques exceptions notables, dont l'intelligence (ne sait pas ouvrir une porte), et la vision (incapable de voir dans le noir). Son caractère monstrueux provient avant tout de son agressivité, alliée à un contorsionnement du corps et à une "course de foule" décuplant son potentiel menaçant et meurtrier.
Le réalisme est le point fort de cette partie, car on est plus souvent dans le "trop" que dans le "normal". Le zombie a en effet une fâcheuse tendance à se vider de ses entrailles, à avoir le crâne facilement explosé ou à copieusement dévorer ses victimes. Ici, du sang, mais pas plus que nécessaire. Les protagonistes n'ont pas d'arme à feu, et se défendent quasi exclusivement avec leurs poings, et même lorsqu'ils ont recours à une sorte d'arme (la batte de baseball), ils ne parviennent pas à facilement briser le crâne du zombie car, finalement, c'est tout autant difficile de le faire contre un vivant que contre un mort, et ce rappel cruel, plutôt que de faire croire à une impuissance ou maladresse des survivants, n'est que l'expression d'une réalité à laquelle les personnages font face et qui s'avère bien plus terrifiante, par sa difficulté, que le flot de sang abondant provoqué par un seul coup de talon dans la tête d'un mort-vivant.


(iii) Sur la gestion des lieux de l'intrigue


La contrainte du film de zombie par rapport à la série télévisée sur ce point réside principalement dans la durée, là où le second peut se permettre tantôt de "bloquer" ses personnages à un point fixe puis de les rendre perpétuellement nomades, couvrant une palette de situations et d'émotions bien plus large qu'il ne serait possible pour un long métrage. Ici, la majorité de l'action se déroulera en intérieur, dans un espace clos mais "en mouvement" : on craint vite qu'on ne tourne en rond, la caméra devant filmer le même espace, laissant peu de place à l'imagination et risquant un enchainement de drames "statiques" et de discussions stériles sur ce qui pourrait "se passer dehors". Il n'en est rien et le résultat est maîtrisé, là où une action en monde ouvert offre plus de choix mais prend le risque de s'éparpiller.
Le train sert avant tout d'accessoire, il n'est pas le point central de l'intrigue, comme un lieu dans lequel les protagonistes seraient piégés et dont ils chercheraient à tout prix à s'échapper (au contraire, il est leur moyen de transport et attire la convoitise d'autres), ce qui ne diminue pas pour autant le léger sentiment de claustrophobie provoqué par l'étroitesse des couloirs et des cachettes (toilettes), forçant les protagonistes à faire preuve d'ingéniosité (passer par les espaces de rangement en hauteur) sans pour autant pouvoir "tricher" de telle sorte que le lieu serait une "fausse" contrainte (par ex: le verre des portes se brise, avantage pour s'enfuir ou inconvénient quand on est acculé). Les quelques séquences hors de celui-ci (dans la gare de Daejon, sur les rails) poussent plutôt à penser que le train serait plutôt une planche de salut qu'un cercueil ambulant. On ne s'ennuit donc pas à l'oeil, la caméra pointant justement le peu de marge de manoeuvre dont disposent les héros pour se défendre mais parvenant à le sublimer (par ex: les scènes de traversée des couloirs par le trio masculin).
A tout point de vue, le sujet est donc traité de façon cohérente et crédible, nous rappelant à chaque instant la tension inhérente à ce genre cinématographique, en trouvant le moyen de diversifier la palette d'actions et d'émotions des vivants et des morts, sans tomber dans l'exagération ou la facilité, brillant finalement par son réalisme et son caractère cru.
Par endroits, on pourrait pointer du sensationnalisme (les bonds des zombies) ou de légères incohérences (la femme enceinte parfois très lente, parfois capable de sprinter pour rattraper un train) mais leur brièveté et unicité ne ternissent pas l'image d'ensemble.


III - Beauté


Sans doute la partie la plus subjective d'une critique, il pourrait aussi être surprenant de parler de "beauté" pour un film d'horreur, étant donné que le terme évoque une forme d'esthétisme, plaisant à regarder ou à ressentir abstraitement. Cependant, on peut trouver que le sujet et son traitement soient convaincants, sans être émotionnellement persuadé et touché par la justesse des choix. C'est sans doute ce qui justifie pour moi le "coup de coeur" pour ce film.
Le genre n'est certes pas révolutionnaire, ni totalement renouvelé par ce film, mais il y est assurément une contribution singulière, qui touche et résonne par sa polyvalence, matérialisée par sa capacité à équitablement et harmonieusement associer tension dramatique/développement des personnalités/ , dans un genre cinématographique où au moins l'un de ces aspects est négligé ou sous-traité au profit d'un autre (par ex: prédominance de la tension sur le reste dans "Land of the Dead", prédominance du développement des personnalités sur le reste dans "Infectés").


Le style des dialogues est sobre et adapté, la disparition progressive des personnages secondaires est imprévisible, habile et "digne", dans le sens où les scènes déploient leur plein potentiel d'émotions en un minimum de plans et de secondes, sans que cela ne paraisse jamais hâtif ou froid, grâce à la puissance évocatrice des mots/images et le subtil mélange entre douceur et brutalité dans la mort (les deux soeurs, les amis).
Aucune succession d'événements ne parait forcée ni superflue (exception faite et regrettable du passage sur la mention de la cause de l'épidémie et de la responsabilité du héros, inexploitée par la suite), gardant la concentration du spectateur et sa compréhension au maximum.
Un film où la menace est permanente, mais l'action élégante, où l'émotion est débordante mais son expression savante. Du début à la fin, nous sommes sur de bons rails (promis c'était le dernier).

Reddys
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le 4 oct. 2020

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