De l'élection de Mitterrand le 10 mai 81 à l'élimination au premier tour de Jospin le 21 avril 2002,deux décennies de dérive de la gauche socialiste à travers le portrait de quatre militants PS stéphanois qui iront progressivement de l'euphorie à l'abattement,en passant par la désillusion.Pour son premier long-métrage cinéma,Nicolas Castro livre une extension de son court-métrage "Je n'ai pas changé",sorti quatre ans plus tôt.Le gars avait commencé par des documentaires sur le ciné porno,avec "L'âge d'or du X" et "Brigitte et moi",mais là il écrit et réalise un film politique égratignant sa famille,la Gauche,car il reste fidèle,Castro.Il brasse vingt ans de la vie politique et médiatique française à travers les destins entrecroisés de deux frères,Léon et Olivier,de leur meilleur ami Sylvain et de la belle Noémie qui aura une histoire avec Olivier mais n'aimera jamais que Léon.Tout y passe,et c'est même trop car ce déballage boulimique de vingt piges condensées en 1h40 se révèle à la longue indigeste.Castro veut tout y mettre,et c'est trop.Ceci dit,quand on a connu cette époque il est assez agréable de voir défiler ce curieux spectacle qui a rythmé notre jeunesse,d'autant que l'auteur traite ça avec humour et insolence,visiblement pour exorciser sa déception face à des promesses auxquelles il a probablement cru.On assiste donc à ce gigantesque espoir né chez ce quatuor de militants de la section PS de Saint-Etienne,qui va virer à l'aigre au fil du temps,et de leur évolution professionnelle à Paris.La narration est surtout focalisée sur Léon,à qui le réalisateur semble s'identifier.Alors lui c'est le pur et dur,le gaucho qui ne veut pas faire de concessions et va pourtant passer son temps à ça,avalant des couleuvres au kilomètre.Le tournant de la rigueur de 83,l'irruption dans la sphère mitterrandienne de l'escroc Tapie,la montée du Front National,l'hypocrisie et les retournements de veste de la nomenklatura socialo,il sera de toutes les défaites de la pensée gauchiste,y assistant en spectateur impuissant.Il est savoureux de suivre le cheminement paradoxal de sa carrière journalistique.Il quitte ses employeurs les uns après les autres pour la même raison,une dérive droitière rédactionnelle,mais c'est pour à chaque fois se retrouver dans un média encore moins à gauche que le précédent.Il passe ainsi de Libé au Nouvel Obs,puis à Globe avant d'échouer dans la télé poubelle à la Ardisson.Son frère aîné Olivier change lui vite de cap.Il se lance dans la pub et y fait son trou,devenant rapidement une autorité de la communication politique,collant parfaitement à cette nouvelle civilisation de l'image où la com et les slogans remplacent les idées et les actes,c'est en somme une sorte de Séguéla.Noémie est la bécasse bien roulée mais débile,qui a fait l'ENA et est devenue conseillère à la Présidence,pour s'apercevoir bien tardivement que la Gauche au pouvoir ce n'est pas exactement ce qu'elle espérait.Quant à Sylvain,c'est le pornocrate de service,celui qui a le sens des affaires et qui anticipe les modes,passant du ciné porno aux cassettes X,puis du minitel rose aux sites de rencontres,c'est la touche Castro,qui s'intéresse de près au marché du sexe.Il y a aussi Raymond,le père des deux frangins,un vieux cégétiste de chez Manufrance, qui ne peut empêcher Nanard la Gagne,le socialo de choc,de racheter son entreprise pour pas cher puis de la désosser.Des images d'archives émaillent le récit,les deux élections de la Mite,le houleux débat entre Le Pen et Tapie,les interviews trash par Léon-Ardisson de BHL,Toubon,Lang ou Alliot-Marie,la déconfiture des apparatchiks du PS au soir du 21 avril,avec les impayables gueules de carême de Lang,Hollande,DSK et....Mélenchon,qui était en ce temps-là un des caciques socialistes.La partie showbiz assurée par Sylvain remet à l'honneur les Coco Girls de Collaro,la démarche d'Aldo Maccione,la Coupe du Monde 98,les folles soirées en boîtes,la débauche sexuelle et l'alcoolisation forcenée,la drogue,pourtant fondamentale dans ces milieux,étant bizarrement escamotée.Et toujours ces slogans qui cadencent le film,mélangeant marchandisation,politique et spectacle."Tonton,laisse pas béton","Génération Mitterrand","Demain j'enlève le bas","Ce mec est trop,ce mec est too much",toute la dinguerie décadente d'une double décennie inaugurée par 14 ans de gouvernance socialiste qui se terminera avec Chirac et la gifle de 2002,immédiatement suivie de manifs anti-démocratiques contre le FN,car à gauche on aime la voix du peuple quand elle est favorable,mais on la nie quand elle s'exprime différemment.Belle ironie dans la scène chez Léon qui,éberlué par le résultat du scrutin,demande à ses potes gauchos pour qui ils ont voté et apprend que leurs voix se sont éparpillées parmi les nuances de gauche,allant vers Laguiller,Chevènement,Besancenot ou Taubira.Il dit alors "mais je suis le seul à avoir voté Jospin!",et un de ses copains lui répond "ben oui,moi j'ai voté à gauche!".A part ça Castro s'est un peu trop perdu dans son cadre narratif et a légèrement perdu de vue ses personnages,qui font office d'archétypes.On a le journaleux idéologue,le yuppie carnassier,le jouisseur inconséquent et la militante déçue,mais leurs histoires personnelles ne sont ni très crédibles ni très intéressantes,malgré une distribution aux petits oignons.Pio Marmaï est l'acteur idéal pour incarner le gaucho obtus en constant décalage avec la réalité.L'humoriste Gaspard Proust est très bon en trotskiste pragmatique vite converti aux joies du capitalisme.Ramzy Bedia nous offre une nouvelle composition savoureuse en joyeux sybarite guidé plus par ses instincts primaires que par une quelconque réflexion.Quant à Laetitia Casta,miss cul d'enfer,elle est convaincante en neuneu qui croit pouvoir sauver le Monde.Il y a plein de bons comédiens dans les rôles annexes,André Dussollier en père inquiet pour sa progéniture,Sam Karmann en rabbin bienveillant,Louis-Do de Lencquesaing en conseiller du président,Anne Brochet en patronne de presse cassante,Jean-Michel Lahmi,irrésistible en clone de Serge July,Alix Bénézech en fille facile,Noémie Merlant en call-girl,Farida Rahouadj,actrice fétiche de Blier,en mère protectrice,Jean-François Cayrey en entraîneur de foot à la langue de bois style Deschamps,et Nicolas Carpentier en créatif de pub,lui qui s'est justement fait connaître en jouant dans des spots publicitaires.