Tahar Rahim excelle à nous apitoyer profondément sur son personnage (sachant jouer de sa bonne tête et de son regard désarmant avec facilité), et nous arrache des silences stupéfaits face à la barbarie humaine dont est imprégnée cette terrible histoire vraie. Mohamedou Slahi, un jeune Mauritanien, est accusé et arrêté pour complicité à l'acte terroriste du 11 septembre 2001, sans aucune preuve, et va passer plusieurs années à être torturé pour lui extorquer des aveux... On ne saura jamais si le bonhomme avait réellement quelque chose à voir avec ce dont on l'accuse, et on ne s'en préoccupe pas vraiment, le propos du film ayant l'intelligence de ne pas se porter là-dessus, à se faire juge à la place du juge, mais préfère nous révolter quant aux pratiques inhumaines d'une société américaine soi-disant civilisée sur des prisonniers sans défense (personne pour les pleurer, et les ONG aux abonnés absents). On ne peut décrire avec des mots les atrocités subies, alors The Mauritanian nous les montre, sans tomber dans la démonstration gratuite (le montage suggère plus qu'il ne dévoile) et en restant toujours aussi puissant de bout en bout, on vit le calvaire avec le jeune prisonnier le cœur au bord des lèvres, et l'on s'étonne d'avoir passé les deux heures dix de film en un clin-d’œil. Jodie Foster nous ramène à ses meilleurs rôles (on pense notamment à Clarice du Silence des agneaux), une grande dame que l'on voit peut depuis dix ans (quatre films) mais qui sait choisir ses entrées. Il s'agit de l'unique rôle de sa carrière inspiré d'une personne réelle, mais qu'elle a tenu à changer un peu (en accord avec l'avocate Nancy Hollander) en aigrissant son personnage, afin de souligner l'évolution positive de Nancy au contact de Mohamedou (une dramatisation du récit qui n'enlève rien à sa puissance, au contraire). Le montage est excellent, l'interprétation sublime, l'histoire vraie captivante autant qu'effroyable, le réalisateur Kevin MacDonald nous donne à voir un grand film. Un conseil : ne lisez pas le résumé du film avant d'aller le voir, pour ne pas en connaître la fin (l'information est donnée absolument partout, dommage pour le spoiler), car l'épilogue écrit qui survient brutalement (volontairement) nous raconte la suite des événements toujours aussi inhumains, et finit de nous donner envie de hurler tous les jurons de notre vocabulaire (riche). Quand on voit avec quelle rapidité certains oublient le sens de "dignité humaine", on se désespère de notre monde, et l'on se raccroche aux rares défenseurs de l'humanisme (l'avocate) et à ceux qui le mettent en image (les réalisateurs engagés comme MacDonald) pour nous interpeller. On termine The Mauritanian en se disant que, soit le bonhomme est l'un des meilleurs manipulateurs qui aient existé (pour nous, assez peu probable), soit on a assisté à la déshumanisation complète d'un gars au mauvais endroit au mauvais moment. On a peur de la réponse. En revanche, en le renommant "Désigné Coupable", le titre français est un peu tendancieux (on préfère The Mauritanian qui a du sens dans le film, et ne ressemble pas à un jugement précoce de l'accusé). A écouter en VO si vous le pouvez, pour profiter de l'anglais avec un délicieux accent de Mohamedou ou de son arabe et français impeccables (apporté par notre fierté nationale aux origines algériennes, un choix parfait pour le rôle). The Mauritanian est une histoire vraie qui nous attrape au collet pour nous mettre le nez dans les bassesses inhumaines et indignes infligées aux présumés coupables, et, sans jamais s'abaisser à remplacer Monsieur Le Juge, nous asseoit comme témoins aux côtés d'un Tahar Rahim bouleversant.

Aude_L
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films sur l'univers carcéral et Les meilleurs films de 2021

Créée

le 10 avr. 2021

Critique lue 475 fois

3 j'aime

Aude_L

Écrit par

Critique lue 475 fois

3

D'autres avis sur Désigné coupable

Désigné coupable
Sergent_Pepper
6

Cheap the faith

Il faut bien l’admettre : un certain nombre de films, en adaptant des succès de librairie, nous dispensent de lire des livres. On se rattrape ainsi, en deux heures et quelques, de ce qui s’est fait...

le 2 août 2021

20 j'aime

2

Désigné coupable
EricDebarnot
6

Guantanamera !

En 2001, quelques semaines seulement après le drame du 11 septembre, la sinistre équipe Bush – Rumsfeld (qui vient de mourir tranquillement dans son lit sans avoir jamais été inquiété pour ses...

le 18 juil. 2021

18 j'aime

3

Désigné coupable
Fêtons_le_cinéma
8

Le doute au fondement de la foi

L’intelligence de The Mauritanian tient essentiellement à l’approche de Mohamedou Ould Slahi comme d’un témoin détenteur d’une vérité humaine, faisant de lui le moyeu autour duquel gravitent les...

le 2 juil. 2021

14 j'aime

6

Du même critique

The French Dispatch
Aude_L
7

Un tapis rouge démentiel

Un Wes Anderson qui reste égal à l'inventivité folle, au casting hallucinatoire et à l'esthétique (comme toujours) brillante de son auteur, mais qui, on l'avoue, restera certainement mineur dans sa...

le 29 juil. 2021

48 j'aime

Bob Marley: One Love
Aude_L
5

Pétard...mouillé.

Kingsley Ben-Adir est flamboyant dans le rôle du jeune lion Bob Marley, âme vivante (et tournoyante) de ce biopic à l'inverse ultra-sage, policé, et qui ne parle pas beaucoup de la vie du Monsieur...

le 14 févr. 2024

38 j'aime

Mad God
Aude_L
5

Doing doing doing doing...

Mad God est une expérience, et ce n'est pas parce qu'on ne l'a subjectivement pas appréciée, qu'on ne vous recommande pas de la vivre. Au mieux, vous serez subjugué par ce mélange de sadisme assumé,...

le 8 avr. 2023

35 j'aime