Deux moi est le treizième long-métrage de Cédric Klapisch, réalisateur entre autres de L’auberge espagnole, Casse-tête chinois ou encore Un air de famille. Klapisch s’accompagne à nouveau du duo convaincant de son dernier film Ce qui nous lie, Ana Girardot et François Civil. Cette fois-ci, les acteurs ne jouent plus le rôle d’un frère et d’une sœur mais de deux voisins qui fréquentent les mêmes lieux de vie d’un quartier parisien qu’ils habitent. Dans la capitale française, Remy Pelletier (François Civil) vit de petits jobs tandis que Mélanie (Ana Girardot) travaille dans un laboratoire de recherche. L’un comme l’autre a la trentaine, elle multiplie les rendez-vous ratés sur les réseaux sociaux pendant qu’il peine à faire une rencontre. Tous les deux sont victimes de cette solitude des grandes villes malgré l’époque hyper connectée dans laquelle ils vivent. Ces deux êtres aux chemins divergents mais pas incompatibles souffrent de névroses qui les dirigent vers deux psychologues pour traiter leurs symptômes dépressifs.


Loin de l’idylle trompeur d’Instragram, Tinder, Snapchat et consors, Klapisch filme avec une certaine beauté le défilement de la vie parisienne où chaque anonyme trace sa route aux dépends de la rapidité du quotidien. À Paris les âmes sont perdues dans le dédale de l’immensité du labyrinthe où chacun s’emprisonne dans sa bulle et se fixe à son logement comme celui de Mélanie et celui de Remy qui donnent une vue sur la Gare du Nord. Remy et Mélanie, ces âmes isolées, exposées avec tendresse, sont connectées par le montage intelligent de Klapisch qui leur rend leur humanité. Dans ce puzzle lié grâce au cinéma, tout vient à se connecter : les lieux de vie, le chat, les névroses, les moments de joie, ceux de peine et chacun va voir “quelqu’un”, en somme son psychologue. Klapisch brise certains tabous, il met des mots sur les maux, appelle un chat un chat et prend le risque de représenter durant 1h50 à l’écran le sujet épineux et tu par la société actuelle de la dépression.


Pourtant, cette thérapie cinématographique courageuse est fragilisée dès lors que le cinéma perd de son essence au profit d’un didactisme surabondant avec le point de vue des psychologues (François Berléand et Camille Cottin) et leur discours anti-réseau social qui manque de nuance dans le film. À mesure que les destins se rapprochent, que les âmes se renforcent, les connexions perdent malheureusement en subtilité comme l’édification de ces ponts trop gros pour passer inaperçus qui perdent en mystères : l’immunothérapie (axe de recherche de Mélanie) et l’art de renforcer ses cellules internes, l’escalade (sport pratiqué par Rémy) et l’art de s’élever, la danse et l’art de se laisser aller. Certains lieux, telle l’épicerie du coin gérée par un espiègle philosophe improvisé (l’excellent Simon Abkarian) représentent parfaitement ces lieux de reconnexion véritables, là où les entreprises robotisées défaillissent. Dans ce type de commerce, la relation sociale est remis au goût du jour en se questionnant sur les choix qualitatifs de riz, de pesto ou d’olives et autres produits consommables qui sont, bien évidemment, meilleurs plus ils sont chers.


Deux moi est une réussite qui dépend pour beaucoup du formidable jeu de ses acteurs et du courage de son réalisateur qui aborde frontalement le thème de la dépression. Avec légèreté et tendresse, Klapisch cultive le développement personnel, le fait de ne pas se sentir coupable, la nécessité d’être pleinement soi pour être en capacité d’aimer l’autre. Pour autant, on se serait bien passé du didactisme opéré par le point de vue des deux psychologues.

thomaspouteau
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le 12 sept. 2019

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thomaspouteau

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