Nous sommes le 25 mai, un jour après la fin du festival de Cannes édition 2015. Jacques Audiard est en classe Business dans l’avion qui le conduit à Rouen, d’où il prendra l’hélicoptère afin de se rendre à Deauville afin de se ressourcer après toutes ces émotions : il a obtenu la palme d’or du festival cette année. Il ne s’y attendait pas. Nous non plus. Accompagné de son fidèle ami Jacques Attali, Jacques Audiard sirote son cocktail au pamplemousse bio. Car oui, Jacques est comme ça, il aime la Nature et prend soin de la préserver. Soudain, l’avion du duo survole la ville de Mantes la Jolie, ville célèbre pour avoir accueilli le cadavre du roi Philippe Auguste, mais aussi pour sa célèbre cité du Val Fourré (Bon d’accord, Mantes la Jolie c’est aussi la ville ou Jean Marie Le Pen a tabassé madame le Maire de Mantes la Ville, le bled d’à côté...). Voyant ce décor pittoresque de la lointaine banlieue parisienne, Jacques et son comparse Jacques, ne peuvent s’empêcher de repenser à leur indéniable talent. Vraiment, pensaient-ils, nous sommes des génies.
Dans le même temps, bravant les grèves et autres problèmes techniques SNCF, trois amis rentrent dans leur lointaine banlieue après une dure journée de labeur (et merde, jamais personne ne croira que des étudiants bossent en mai…). L’un est juriste, du moins en devenir, l’autre fait des études en art et le dernier est un futur sociologue (autant dire un futur chômeur). Nos trois amis, au fait de la palme décernée à Jacques (aux Jacques même car nos deux Jacques partagent tout. Et que serait un film de Jacques sans Jacques ?) la veille, décident de se rendre au cinéma de leur ravissante bourgade afin de le visionner. Tickets en main, ils pénètrent dans la salle obscure. Ils ne sont que tous les trois. Le film se lance.


Début basique : guerre civile au Sri Lanka, un soldat doit fuir mais pour cela il a besoin de prouver qu’il a une femme et au moins un enfant. Il embarque donc une gamine et une jeune femme, leur fournit de faux papiers et peut fuir son pays en leur compagnie. Arrivé en France, on lui trouve un boulot en tant que concierge dans un HLM de banlieue. Sa « femme » reste à la maison tandis que la gamine part à l’école. Vingt minutes de film sont déjà passées, nos trois amis se regardent. L’ennuie semble les gagner. Mais c’est sans compter sur le génie de Jacques (bien entendu, génie qu’il doit en partie à son ami Jacques le prophète). En effet, au bout de trente minutes de film, tout s’emballe. Dheepan, car c’est ainsi que se nomme le héros de ce film, se voit confronter aux divers trafiquants du quartier, qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de ce nouveau venu. Et pour bien montrer cette ambiance tendue, on peut compter sur les snipers et les lances roquettes postés sur les toits de chaque immeuble de la cité et qui scrute l’horizon jour et nuit. Oui oui, des snipers et des lances roquettes sur les toits des immeubles, vous avez bien lu. Certainement que Jacques, survolant assez souvent les cités de banlieue parisienne afin de se rendre dans sa villégiature normande, a pu observer des choses que nous, pauvres mortels bouseux, ne pouvons voir depuis la Terre. Car Jacques il est comme ça, il voit les choses mieux que tout le monde (l’autre Jacques est plus un visionnaire dirons-nous). Ainsi, Dheepan l’a de plus en plus mauvaise et supporte de plus en plus mal tous ces trafics. Il décide donc d’agir…en traçant une ligne blanche que les trafiquants ne doivent pas dépasser (ligne qui doit leur interdire l’accès à son immeuble)…La Police ? Apparemment, ils sont en pause-café. En attendant, les trafiquants ils s’éclatent bien et ils tirent à la Kalachnikov pendant la nuit (loisir comme un autre). Et le chef des trafiquants, le méchant et tyrannique jeune blanc en jogging basket, il veut se faire la vraie fausse femme de Dheepan. Cela en est trop pour notre héros. Audiard déploie une nouvelle fois son génie. L’histoire s’emballe encore une fois: Dheepan décide d’aller casser la gueule à tous ces méchants voyous. Il prend donc un tournevis, une voiture et un cocktail Molotov, fonce avec la voiture dans l’immeuble des trafiquants, fait tout péter avec son cocktail Molotov et zigouille tous les trafiquants avec son tournevis. Noir. Le film est terminé ? Non ! L’écran se rallume laissant au spectateur le plaisir d’observer Dheepan et sa nouvelle famille (bah ouais, il est tombé amoureux de sa vrai fausse femme et ils ont eu un enfant en plus de leur fille adoptive) dans un pavillon en Angleterre. Fin du film.


Nos trois amis furent cloués sur leurs sièges pendant quelques temps avant de pouvoir recouvrer leurs esprits. Jacques, qui avait atterrit au même moment à Rouen, avait réussi son pari. De son avion, il avait parfaitement cerné la réalité de ces quartiers et de ses habitants. Il avait su parfaitement appréhender la figure du réfugié arrivant en France après de longues discussions avec Bernard Henri Lévy. Jamais au cinéma une telle prouesse n’avait été réalisée. Et jamais dans l’Histoire de l’art, depuis le « Germinal » de Zola, un artiste n’avait su aussi bien décrire une réalité sociale. Le jury du festival l’avait très bien compris. Avant de prendre son hélicoptère pour Deauville, Jacques salua son ami Jacques qui, lui, repartait pour son somptueux appartement du 7ème arrondissement d’où il rédigeait son manifeste prophétique « 100 jours pour que la France réussisse ». Nos trois amis, eux, quittèrent le cinéma et retournèrent chez eux. Dussé-je vous dire, qu’époustouflés par le film de Jacques, ils ne virent jamais plus la cité près de chez eux de la même manière ? Le juriste en devenir se demandait encore comment la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée dans telle situation tandis que l’étudiant en Art s’extasiait sur le style Corbuséen des immeubles du film et, que l’apprenti sociologue ne cessait de congratuler celui-ci sur la justesse de sa critique sociétale.

Kerke
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le 7 juin 2016

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