Ce mauvais titre de critique est pleinement assumé, ayant pour seul but de comparer la Palme d’Or de Jacques Audiard, qui nous arrive enfin, avec le Grand prix du jury LE FILS DE SAUL, film exceptionnel du cinéaste hongrois László Nemes. Le coup de poing que nous avons reçu en début d’année, avec cette histoire de Sonderkommando tentant d’enterrer son soi-disant fils, allait-il vraiment être surpassé par le récit de ces trois réfugiés tamouls prétendant être une famille?


Sans être supérieure, la première moitié de DHEEPAN est aussi réussie que celle de LE FILS DE SAUL. Contrairement à ses œuvres précédentes dans lesquels nous étions rapidement impliqués envers ses personnages (UN PROPHÈTE étant le meilleur exemple), Audiard développe habilement la psychologie de chacun d’eux et laisse les liens entre eux se tisser lentement, comme si la plaie de leur exil se refermait au fil du temps.


Dès les premières minutes de DHEEPAN, où nous voyons nos trois protagonistes quitter la guerre et la misère pour se réinventer dans un pays où leurs différences sont aussi visibles lorsqu’ils parlent que lorsqu’ils déambulent, Audiard montre tout son savoir-faire dans les moindres gestes et regards du trio. Tout est parfaitement exprimé dans la séquence où le titre apparaît sur Dheepan: il sort de l’obscurité avec un nœud papillon qui scintille sur sa tête, tout ça au ralenti sur la divine pièce NISI DOMINUS (l’extrait CUM DEDERIT) de Vivaldi. Frissons!


Autre grande force toujours au rendez-vous dans les films d’Audiard, la direction exemplaire de ses acteurs. Ces inconnus que sont Antonythasan Jesuthasan (magistral, il aurait bien mérité le prix d’interprétation masculine à Cannes, mais il se reprendra peut-être aux César comme meilleur acteur, dans une semaine) et Kalieaswari Srinivasan (aussi incroyable et elle méritait d’être nommée aux César) ne parlent pas la langue de leur réalisateur et ils ont su construire des êtres complexes et tiraillés entre leur présent et leur passé. Un couple créé pour le cinéma que nous n’oublierons pas de sitôt.


Malheureusement, et je pèse mes mots, tout le travail en finesse du cinéaste avec ses comédiens et aussi son équipe technique (la direction photo solide d’Eponine Momenceau dont il s’agissait du premier long métrage, le montage précis de Juliette Welfling, la direction artistique parfaite d’Héléna Klotz) est sacrifié lorsqu’Audiard trace un trait blanc sur le sol par l’intermédiaire de son Dheepan. En choisissant cette possibilité fantasmée de faire de la banlieue une zone de guerre équivalente à celles bien réelles du Sri Lanka, Jacques Audiard sombre inutilement dans les excès nécessaires du cinéma de genre. Si encore là tout est parfaitement maîtrisé, cette rupture audacieuse ne rend pas justice au récit qui n’en demandait pas autant. Là où la finesse aurait pu faire élever DHEEPAN comme un film en parfaite symbiose avec son époque (les migrants de 2015 auront été les principales « vedettes » de l’actualité), Jacques Audiard a voulu faire un boucan énorme digne des trop nombreux films de vengeance des récentes années.


C’est là que le jury de Cannes, présidé par les frères Coen aurait normalement du décerner la Palme au chef d’oeuvre de László Nemes. Mais encore une fois, ce n’est pas nécessairement le meilleur film de la compétition qui sera reparti avec les plus grands honneurs. En 2009, UN PROPHÈTE Grand prix du jury aurait normalement remporté le Saint Graal cinématographique, mais il y avait aussi le sublime LE RUBAN BLANC de Michael Haneke. Finalement, Audiard aura mis en images la plus belle vengeance possible.

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le 17 févr. 2016

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Daniel Racine

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