Do the Right Thing (Spike Lee, U.S.A, 1989, 2h)

Spike Lee est un metteur en scène des plus inconventionnel, longtemps taxé de racisme primaire envers la communauté Blanche, appuyant sans subtilités sur les différentes luttes auxquelles font face la communauté Afro-Américaine aux États-Unis. Cinéaste indépendant made in 80’s, dont on peut trouver une équivalence avec le cinéma de Jim Jarmusch, abaisser son œuvre à du racisme primaire, c’est passer à côté de son message de fond.


‘’Do the Right Thing’’ fût fustigé à sa sortie par toute une partie de l’intelligentsia du petit monde de la critique américaine, lui reprochant d’attiser la haine communautariste. Au lieu de jouer sur le consensus national d’alors, porté aux gémonies par l’administration Reagan. Or, s’arrêter à ça, c’est rater le coche de comprendre une œuvre et de son propos, et surtout minimiser la démarche de son metteur en scène.


Il y a quand même certaines critiques qui se sont positionnées pour la défense du film, dont l’éminent Roger Ebert, qui avait compris sa véritable portée. Spike Lee fût tout de même accusé par certain d’inciter la colère et pousser la population Noire à la révolte, et qu’en cas de dérapage, il aurait du sang sur les mains. Le cinéaste opta pour une défense des plus ironiques, non dénuée de pertinence, en déclarant que si le public Blanc était capable de se contenir après avoir assisté à la violence des films d’Arnold Schwarzenegger, la population Noire le pourrait également.


Prenant place dans un quartier de New-York, au cœur d’une chaleur étouffante d’un jour d’été particulièrement radieux, ‘’Do The Right Thing’’ est une petite chronique survitaminée, suivant quelques personnages haut en couleur. L’intrigue principale tourne autour de Sal un pizzaïolo italo-américain (le regretté Danny Aiello) et de ses deux fils, Pino et Vito (Les terribles John Turturro et Richard Edson), garants d’un établissement de culture ritale, au beau milieu d’un quartier populaire peuplé d’Afro-américain.


Une bisbille éclate avec Buggin Out (l’exceptionnel Giancarlo Esposito), un client qui ose interpeller Sal sur le fait que sur son ‘’wall of fame’’ manque de couleur, n’y affichant que des personnalités d’origines italiennes, et pas un seul Noir. Bien qu’ils soient majoritaires dans le quartier. La querelle monte en mayonnaise, prend des proportion pas possible, Sal vire le récalcitrant, et de là le métrage révèle les fissures présentent dans ce microcosme de la société américaine, représenté par ce quartier réduit à la loupe par une fine analyse d’une rue.


Énormément de personnage se croisent, Sal et ses fils, leur livreur Mookie (Spike Lee himself), Radio Raheem (Bill Nunn) un type qui se déplace partout avec sa boombox, trois petits vieux assis dans un coin, qui avec recul et humour observent de loin le fourmillement de la rue, des officiers de police italo-américains, et ainsi de suite…


La force de ‘’Do the Right Thing’’ est de réussir, en à peine 2h de temps, à résumer tout le dysfonctionnement de la société américaine des années 1980. La date de sa sortie, à la fin de la décennie, juste au moment où Reagan passe la main à son vice-président George H.W. Bush, lui permet d’opter pour un point de vue emplit d’irrévérence, lui offrant toute son efficience et son acuité.


Après trois petites réalisations assez mineures, Spike Lee débarquait en 1989 avec ce qui ressemble à un véritable pamphlet sociologique, d’une objectivité incroyable. Et l’Histoire lui donnera raison, puisqu’il avait senti qu’une révolte grondait à la base de la société américaine. Si Durant les 80’s une partie de la communauté Afro avait pu accéder à la bourgeoisie, tout une autre partie était plongée dans une misère de plus en plus insupportable.


La structure de ‘’Do the Right Thing’’ est telle, que le récit monte graduellement en puissance, au point d’atteindre petit à petit les cimes d’une violence, exprimée par un manque de communication, de respect et de compréhension, entre deux communautés que rien n’oppose, mais qui n’arrivent pourtant plus à coexister. Par son dernier tiers, le métrage annonce déjà les révoltes aux doux parfum de guerre civile qui frappent les États-Unis au début des années 1990.


Il y a un malaise palpable, et Lee met complétement le doigt dessus. Avec une rectitude telle, que la majorité des critiques de l’époque, aveuglées par leur petit confort bourgeois, n’ont pas vu ce qu’il signalait, à savoir le soulèvement d’une caste touchée par la pauvreté, en opposition à un système verrouillé par de vieux Blancs négligeant de toute une partie de la population Afro, contenue dans des banlieues en déclin.


Les critiques ont préféré y voir un pamphlet bêta alimentant une haine anti-blanc. Quand ce que faisait Lee n’était qu’un constat, éminemment fin, d’une société schizophrène dont l’aboutissement mènera aux émeutes des années 1990, et une prise de conscience d’un malheur latent au cœur des populations afro, réduites à vivre dans de véritables ghettos. D’où naît d’ailleurs une culture bien à part, comme le rap et les ‘’Hood films’’.


Œuvre populaire s’il en est, Spike Lee y convoque ce qu’il connait, et ce qui est sur le point de s’imposer comme une culture à part entière. Ainsi tout le générique du début, consiste en une danse endiablée de Rosie Perez, sur fond de hip-hop, devant un décor en carton-pâte, qui sert le côté fable du métrage. C’est très coloré et plutôt drôle, avec un sens de la comédie innée. Pour l’anecdote, il y a la présence d’un jeune Martin Lawrence, dont c’est ici le premier rôle.


Le film promet également des moments anthologiques, comme cette séquence, inspiré de ‘’The Night of the Hunter’’, durant laquelle Radio Raheem, qui porte sur ses mains des poings américains en or, portant les inscriptions ‘’Love’’ à droite et ‘’Hate’’ à gauche, disserte face caméra, par un monologue promptement hallucinant, d’une précision acérée. Pour un film écrit en à peine deux semaines, s’inspirant vaguement d’un fait réel, ça force vraiment le respect.


Avec le temps ‘’Do the Right Thing’’ a pu dévoiler tout ce qui en 1989 pouvait le rendre un petit peu mystérieux. Et qui peut expliquer que la critique se soit majoritairement fourvoyée sur les intentions de Spike Lee. Car 30 ans après sa sortie, le métrage est toujours aussi brûlant, de par ses thématiques. Ainsi la cohabitation forcée entre différentes cultures, sans qu’aucuns partis ne face d’efforts pour mieux s’intégrer, ici les Italo-américains dans un quartier revendiqué par quelques extrémistes Afro. Ou bien encore les violences policières démesurées envers la population noire. N’oublions pas le mouvement ‘’Black Lives Matter’’ apparut seulement en 2015.


Il en va de même pour l’ennuie profond qui touche un jeune n’ayant rien à faire de ses journées, autre que trainer dans le quartier. Il n’y a pas de travail, c’est un véritable désert social, les jours passent et se ressemblent, faisant naturellement naitre une forme d’animosité, à l’encontre d’un système inéquitable, et envers ceux qui ont une situation. Cela est traduit par la relation entre Buggin Out et Sal, qui de pas grand-chose prend une dimension quasi-Apocalyptique.


Avec sa perspective anarchiste, se faisant le juste reflet d’une simple réalité, ‘’Do the Right Thing’’ frappe fort, et là où ça fait bien mal. Il est aisé d’imaginer qu’en 1989, reconnaître les qualités de ce film, c’était remettre en question tout le système vicié par un American Dream anachronique. Et les critiques faisant parties de ce monde dénoncé par Spike Lee, cela les revoyait à leurs propres contradictions. Ce qui explique la virulence témoigné envers le métrage et son auteur.


De plus, et cela ne fait qu’en rajouter à son prestige, si c’est là l’un des meilleurs (voir le meilleur) film jamais réalisé par Spike Lee, son influence sur la production est telle, qu’il fût à l’origine d’une mode. Celle des ‘’Hood film’’ qui allait apparaître au début des années 1990. Portée par des cinéastes venant parler des vrais problèmes de fond d’une société américaine aveuglée par l’ouverture des vannes économiques de l’ère Reagan, en oubliant complétement les laissés pour compte. Pourtant bien présent.


‘’Do the Right Thing’’ est ainsi comme un phare qui perça l’obscurité ambiante, permettant à de nombreux artistes de se plonger dans la brèche, pour apporter eux aussi leur témoignage d’une jeunesse sacrifiée et sacrifiable. Ce qui en fait une œuvre intemporelle, qui a ouvert une voie, et qui trois décennie plus tard n’a absolument rien perdu de sa juste verve contestataire.


-Stork._

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le 3 avr. 2020

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