Difficile d'apprécier une œuvre qui fluctue constamment entre le meilleur et le pire. Mais avec un minimum de recul, le meilleur l'emporte et cette libre adaptation cinématographique de la part de Walerian Borowczyk en hommage à la supposée version originelle du célèbre roman de Stevenson (version qui aurait été jetée au feu par son épouse, choquée par le licencieux contenu) reste vertigineusement implacable.

Le métrage débute par le massacre d'une fillette, suite à une course-poursuite dans les obscures rue de Londres durant l'époque victorienne. Expérimental dans le fond comme dans la forme, l’œuvre se voit dotée tout au long d'une violence crue et d'une atmosphère excessivement sombre, le tout étant perversement bercé par les compositions du mythique Bernard Parmegiani, brillant compositeur de musique concrète et électroacoustique.

Principalement influencé par le travail baroque du célèbre peintre Johannes Vermeer, le cinéaste polonais offre un témoignage respectueux à son Maître tout en continuant à explorer ses obsessions sexuelles où la femme se voit littéralement magnifiée, perpétuellement en équilibre entre beauté innocente et dépravation sauvage. En ce sens, le choix d'adapter L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde près de 100 ans après sa parution reste une pertinente décision afin d'aborder le thème de la gémination tout en conservant la cynique critique de l'hypocrisie sociale au sein de la haute société victorienne originellement prodiguée par Stevenson.

Borowczyk ausculte ainsi un univers superficiel en y glissant la plus effroyable des perversions sexuelles, réinventant pour l'occasion un Mr. Hyde toujours plus dénué de valeurs morales. Violeur sadique et ignoble meurtrier, le double de Jekyll est incarné par un acteur différent, le sidérant Gérard Zalcberg, qui offre au métrage une pure forme d'amoralisme libérateur ordinairement censurée dans les précédentes adaptations hollywoodiennes. Face à Zalcberg, la somptueuse Marina Pierro (vue entre autre chez Rollin) s'en sort merveilleusement en personnifiant l'âpre férocité d'une femme éperdumment amoureuse. Au-delà du phallus proéminent symbolisant la violence patriarcale, le romantisme le moins honorable qui soit prend ainsi la mesure d'un monde complètement fou pour s'y complaire sous forme de bestialité. L'immuable triomphe de l'amour destructeur.

Parsemé de dialogues creux dans la bouche d'un prestigieux casting en roue libre (Udo Kier, Patrick Magee, Howard Vernon, excusez du peu...), le film déroute forcément et dérange considérablement. Durant 92 minutes, je me suis posée la question à savoir si j'étais en train de visionner une sombre bouse ou un intemporel chef-d’œuvre. Ni l'un ni l'autre, juste la radicale obsession d'un talentueux cinéaste qui n'est toujours pas comprise au sein d'une société malheureusement régressive en terme de tabous. Des tabous que Borowczyk s'amusait à jeter à la face des spectateurs pour exacerber son inconditionnel féminisme. Gloire à lui.

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le 10 mai 2023

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