L'adaptation d'une bande dessinée a l'écran est un exercice périlleux qui nécessite de faire des arbitrages entre fidélité aux canons de la série et les contraintes de la dramaturgie. Dans ce domaine peu de comics présentent plus de défis d'adaptation que Doctor Strange dont les aspects psychédéliques et le langage occulte à base d'incantations qui peuvent sembler ridicules une fois prononcées à haute voix ("Par les bandes cramoisies de Cyttorak", "Par les vapeurs du Vishanti") constituent une équation que Marvel Studios pourtant rompu a l'exercice a mis du temps a résoudre (alors que le personnage est un des favoris du "grand architecte" Kevin Feige).


C'est au scénariste de Prometheus (bientôt de Passengers) Jon Spaiths et au réalisateur Scott Derrickson (l'Exorcisme d'Emily-Rose ,le médiocre remake de the Day the earth stood still et le plutôt bon Sinister dont le scénariste Robert Cargill a contribué au script de Strange) qu'a été confié cette périlleuse mission.
Pour leur faciliter la tâche le studio a su assembler un casting composés d'acteurs prestigieux qu'on attend pas à retrouver dans un CBM et qui élèvent par leur présence le projet : Une égérie du cinéma indépendant Tilda Swinton dans le rôle du mentor du héros (dans le comics un vieux sage asiatique), Chiwetel Ejiofor dans celui de Mordo (dans le comics la nemesis du Docteur d'origine transylvanienne) ,Mads Mikkelsen en méchant et dans le rôle titre a l'issue d'une longue recherche Benedict Cumberbatch.


Ce casting illustre aussi la volonté du studios de faire si nécessaire des choix en rupture avec le matériau original pour l'adapter.


Le film suit le modèle désormais éprouvé dans le genre super-héroïque de l'"origin story" et nous présente Stephen Strange neuro- chirurgien brillant mais arrogant (Benedict Cumberbatch parfait dans ce registre) qui perd suite à un accident de voiture l'usage de ses mains et la capacité d’opérer.En désespoir de cause sur les conseils d'un patient ayant miraculeusement recouvré l'usage de ses jambes (Benjamin Bratt) grâce à un mystérieux mystique oriental. Strange s'envole pour le Népal ou il fait la connaissance de Mordo (Chiwetel Ejiofor) qui l'introduit auprès de l'Ancien (Tilda Swinton) dont il va bientôt devenir l' élève dans les arts mystiques. Il va devoir aux cotés de Mordo et Wong (Benedict Wong), armé de reliques magiques protéger notre dimension des visées de Kaecilius (Mads Mikkelsen impavide) un élève rebelle de l'Ancien qui a conclu un pacte avec des forces maléfiques.


Les histoires Dr Strange dans Strange Tales ont innové en élargissant les limites de l’univers Marvel naissant au delà de la réalité et même du monde conscient. Comme un miroir son adaptation cinématographique cherche à étendre le MCU (Marvel Cinematic Universe pour les intimes) au-delà des aspects technologiques ou spatiaux vers une dimension cosmico-mystique.


Vous avez pu voir dans les bandes-annonces des images qui rappellent Matrix ou Inception cette parenté visuelle est d'une part cohérente car ces œuvres partagent avec Doctor Strange des concepts ou les protagonistes s'éveillent à des réalités qui vont au-delà de leur perception. Déjà en 2004 une mini-série publiée par Marvel et signée par J. Michael Straczynski (Babylon 5 , Sense 8) avait tenté de moderniser l'origine du personnage en s'inspirant de Matrix (qui par certains cotés avaient repris des éléments de Strange) , c'est d'ailleurs dans cette série qu'a été introduit le concept repris dans le film qu' incantations et sortilèges sont tels des programmes permettant de réécrire la réalité.


D'autre part la familiarité de ces codes visuels permet de faire entrer le grand public dans l'univers de Docteur Strange avant que le film n'en révèle des dimensions encore plus extrêmes et pour le coup complètement en accord avec les visions psychotropes de Steve Ditko. Cette "inspiration" relèverait du plagiat si Derrickson et ses équipes d'effets spéciaux n’apportaient pas de nouvelles contributions. Ses scènes qui voient s'affronter les sorciers en plein Manhattan sont d'une ampleur dantesque repoussant les limites de la "recomposition Inceptionienne". Un affrontement à Hong-Kong s'appuient sur une idée brillantes encore jamais vue à l'écran. Le si décrié Scott Derrickson les illustre d'une main sure rendant l'action toujours lisible même au summum de la frénésie.


Malgré quelques adaptations nécessaires du point de vue de la dramaturgie, en particulier celles relatives au personnage de Mordo pleinement justifiées à nos yeux car les set-ups et pay-offs de chaque personnage sont particulièrement efficaces, le canon du comics est célébré, les références abondent. En particulier une séquence qui voit Strange défendre son Sanctum Sanctorum New-Yorkais de l'assaut des zélotes de Kaecilius (dont l'acteur artiste martial Scott Adkins) se concluant par un fight sur le plan astral transporte le fan ravi de voir des concepts et images iconiques traduits à l'écran. Le même sentiment prévaut quand Derrickson nous fait visiter une dimension bien connue des fans du Sorcier Supreme et rend un hommage direct aux dessins de Ditko. De même la résolution du conflit dans le troisième acte, devenu le point faible des films de super-héros, est originale et complètement représentative du personnage (elle pourrait tout à fait être issue d'un comics signé Roy Thomas) permettant au film de se distinguer de ses pairs.


Les comédiens sont tous excellents Benedict Cumberbatch sait doser parfaitement arrogance , humour et héroïsme, on a aucun mal à imaginer Tilda Swinton en Sorciére Supreme millénaire. L'entente des deux comédiens est parfaite autant dans les aspects burlesques - la toujours difficile relation maitre oriental-éleve occidental - que dans des moments plus émotionnels. Chiwetel Ejiofor apporte à Mordo un supplément d'humanité qui donne une dimension supplémentaire à son personnage. La encore ses échanges avec Cumberbatch sont parfaitement dosés entre camaraderie et rivalité.


On pourrait reprocher au film un humour parfois parfois incongru dans cette atmosphère mystique (toutefois dans les proportions habituelles du studio et il faut le dire souvent drole) , de s'appuyer sur une formule très conventionnelle, de gaspiller le talent de Mads Mikkelsen dans un personnage utilitaire (mais on comprend qu'il ait été choisi pour lui insuffler un supplément de menace) et de sacrifier le personnage féminin Rachel McAdams (de loin la plus mal servie).


Le score de Michael Giacchino (qui signe également la nouvelle fanfare de Marvel Studios) est réussie en particulier son theme principal mix improbable entre le theme de la série Sherlock et des guitares de rock progressif à la Queen ou Pink Floyd. A noter que Doctor Strange grâce à des éléments soigneusement mis en place s’intégrera parfaitement dans la trame narrative qui va nous mener à Infinity War...


Conclusion : Doctor Strange transcende sa structure familière d' "origin-story" grâce à son imagerie psychédélique qui introduit de nouvelles dimensions et d'excellents personnages porté par des comédiens sensationnels dans l'univers Marvel.

PatriceSteibel
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le 25 oct. 2016

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PatriceSteibel

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