Avertissement : je pars en débat solitaire pseudo-philosophique dans cette critique.

Bon bon bon on s'y remet là. Quinze jours que ma critique non-publiée m'appelle à cor et à cri, mais j'avais une excuse (les partiels), c'est fini tout ça, fin des partiels = critiques à faire.
Donc, après cet interlude fort intéressant : Don Jon.

Première chose à accorder au film : il est drôle. Il joue avec les poncifs, il est décapant, et ma foi plutôt réaliste. Le héros éponyme (on saluera le petit jeu de mot littérarisant) incarne, il me semble, une tendance de la jeunesse masculine que beaucoup de femmes craignent (moi, en tout cas), c'est-à-dire l'objectivation surréelle du sexe vulgaire où la femme fait une fella' dès le premier soir, parce que c'est un objet qui doit être parfait en tout point, huilé, disponible par tous ses orifices et autres points qui effraient un tant soit peu la femme réelle et imparfaite. Bref, je caricature un peu, mais ce film soulève quand même des problèmes à mon sens réels, en particulier celui de la différenciation à faire entre sexe réel et pornographie. Rien que pour ça, merci à Don Jon.

Le problème qui fait la qualité du film, c'est que le cliché n'en est pas tant que ça un : des mecs comme Don Jon, il y en a des tas. Qu'ils préfèrent le porn à tout dans leur vie, ce n'est pas la question - mais des mecs qui ont ce genre d'hygiène de vie muscu-soirées-sexfriends, avec toute la vulgarité du kéké accompli imaginable, j'en croise tous les jours. Et des filles vulgaires, qui se maquillent l'intérieur de l'oeil, font du sport et aiment les films à l'eau de rose, aussi. On ne voit jamais avec autant de réalité ce genre de personnes dans les films. Gordon-Levitt a quand même réussi l'exploit de rendre Scarlett Johansson moche, ce que je trouve inouï, elle a tout de la cagole du quotidien.

Je dois reconnaître aussi au film une structure originale : j'étais persuadée [ATTENTION SPOILER] que Jon et la poupée blonde incarnée par Scarlett allaient finir ensemble à la fin. Je l'espérais presque. Il faut dire qu'ils sont particulièrement bien assortis. Mais la bêtise et l'étroitesse d'esprit de la demoiselle est telle que ce n'est pas possible. Bon, Jon n'est pas bien finaud non plus, mais sa capacité à évoluer est plutôt salutaire et appréciable. La scène de découverte et les vérités bassement matérielles dégagées par la confrontation du porn au réel sont assez réussies.
Ce qui m'a par contre gênée, c'est que le bouleversement soit total : Jon change du tout au tout. Jon découvre l'amour, on dirait presque un album de Martine. Jon, donc, découvre l'amour, le vrai, le beau, qui dépasse les frontières de l'âge (ça je ne critique pas, c'est très bien, ça change), dans lequel le sexe est idéalisé à l'inverse du porn presque posé comme le grand démon et le besoin du pauvre en manque d'affection et de beauté. Comme si, dans la vraie vie, l'amour et le porn s'opposaient. (Attention, j'ai dit qu'il fallait différencier le sexe réel et la pornographie, mais ce n'est pas contradictoire : je ne parlais pas de sentiments, et puis j'ai dit "différencier", et non pas "opposer".) Comme si, dans la vraie vie, un homme amoureux cessait nécessairement de regarder du porn. (Attention bis, mon intention n'est pas de partir dans un débat genré. Je ne dis pas que les femmes ne peuvent pas regarder de porn etc. Mais je ne parle que des hommes ici puisque c'est le problème que soulève le film, bien qu'il surmonte assez élégamment la difficulté de la place de la femme avec le personnage de Julianne Moore.) Le sexe amoureux est très joliment mis en scène, mais ça en devient vraiment trop mielleux, bisounoursesque et presque insupportable. C'est une jolie histoire d'amour, mais à trop vouloir jouer avec un cliché on finit par retomber en plein dans un autre, en abandonnant l'humour pour parvenir à quelque chose de trop rose et de trop sérieux.
Je ne sais pas du tout si je suis claire. On passe d'un jeu assez fin (quoi qu'on en dise) avec le cliché du mec accro au porno à une conclusion pleine de bons sentiments qui semble vouloir contredire le début du film, à savoir "tous les hommes regardent du porno" (affirmation difficilement contestable). D'une banalisation du porno comme recours normal de l'être humain sexué, on passe presque à une condamnation moralisatrice du genre "toi qui n'as pas trouvé l'amour, jeune padawan, tu n'as pas encore su t'épanouir sexuellement et abandonner la fausseté de la pornographie". A mon sens, le problème n'est pas d'abandonner, mais je le redis pour qu'on me comprenne bien, de différencier le vrai du faux, le réel de l'huile.

Donc pour conclure mon embrouillamini argumentatif dans lequel je me vautre un peu trop longuement, le film est très intéressant dans son traitement d'un phénomène de société (je ne pense pas qu'il soit exagéré de le nommer comme ça ?), notamment par l'humour et la caricature tristement réaliste, avant de basculer dans une fin conventionnelle, ce qui est dommage pour un film qui aborde quand même un sujet un peu tabou. Ou s'il n'est pas tabou, il en est du moins rarement question au cinéma. J'ai donc passé un bon moment, avec de très bons acteurs et des surprises agréables, mais je reste sur ma faim.


Je prie pour que ma critique ne suscite pas des débats houleux de féministes furibondes, ce n'est pas mon intention. Prière de ne pas m'injurier trop copieusement.
Eggdoll
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Créée

le 2 janv. 2014

Modifiée

le 16 janv. 2014

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Eggdoll

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