Évidemment, si vous êtes du genre réticent aux larmes, aux cris, au désespoir et à la tragédie, ce double suicide va peut-être vous rebuter franchement, car d'un bout à l'autre, ces deux amants qui ne peuvent vivre autrement leur amour qu'en se tuant (lui est un pauvre marchand marié, elle une courtisane en passe d'être rachetée) traînent des pieds à l'idée de l'issue fatale qui les attend. Ils ont un sens de l'honneur développé, mais quelque peu pusillanime.

Seulement, cette histoire somme toute traditionnelle (et pour cause, il s'agit d'une adaptation d'un bunraku - théâtre de marionnettes - de la fin du XVIIe, comme le souligne le très beau générique filmé pendant la préparation d'une représentation) est totalement transcendée par le génie visuel de Shinoda, qui enserre ces personnages condamnés d'avance dans un décor à la fois très pur et délirant, fait de parois amovibles, de rangées de piliers, de gigantesques reproductions d'estampes ou de lettres japonaises collées à même le mur et le sol, de zones d'ombres et de surfaces réfléchissantes, tout un espace en trompe l'oeil qui donne au film une esthétique hallucinante.

Plutôt que de gommer l'origine théâtrale du texte, donc, Shinoda la met en avant, et une de ses plus belles idées est sans conteste de remplir les recoins du drame de silencieux kurokos, ces manipulateurs de marionnettes habillés tout en noir de la tête aux pieds. Ils assistent à chaque scène, tournent autour des personnages, et interviennent discrètement pour sceller pas après pas leur destin, allant jusqu'à tendre le sabre qui tuera Koharu, et aider le pauvre Jihei à se pendre à un gibet tout droit sorti du 7eme Sceau.
Chaiev
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le 28 juin 2011

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