Critique tirée du livre "1001 films à voir avant de mourir".

Bien que le roman de Bram Stoker ait été adapté en 1922 par Murnau (Nosferatu), et bien que Tod Browning ait déjà confié à Lon Chaney un rôle de faux vampire (Londres après minuit, 1927), ce "Dracula" du début du parlant marque la naissance du film d'horreur comme genre à part entière et du film de vampire comme son sous-genre le plus populaire.

Le chef opérateur Karl Freund avait déjà acquis une solide expérience des ombres et lumières de l'expressionnisme allemand,et Browning était le roi des aboyeurs de foire du Grand Guignol américain: ainsi "Dracula" est une sorte de synthèse des deux principaux courants du frisson muet. Comme d'autres classiques américains de l'horreur, il ne vient pas directement de la littérature gothique, mais de la scène: les sources du scénario sont deux emprunts au roman de Stoker pour le théâtre. La vedette incontestée de ce nouveau genre est Bela Lugosi, interprète de Dracula à Brodway, qui a été engagé pour le film après la mort prématurée de Lon Chaney, l'acteur fétiche de Browning.

Réalisé avec une technique préhistorique, collé à un scénario défini en salle de montage, le film de Browning garde beaucoup de son aura grinçante, sinistre. Il met en lumière (littéralement, grâce aux panneaux de têtes d'épingles lumineuses dirigés sur les yeux cruels de l'acteur) la mise en vedette de Lugosi en vampire, dont chaque phrase à l'accent hongrois suggère une terrible menace. L'ouverture est magnifique, avec un extrait du "Lac des cygnes" quand la diligence bringuebalante mène l'agent immobilier Renfield au château plein de toiles d'araignées et hanté par la vermine (un tatou niche dans une crypte transylvanienne). Dracula traverse d'un pas décidé les rideaux de toiles d'araignée, il est pris de convulsions sous l'effet de sa soif de sang quand son invité se coupe le doigt avec le couteau à pain, et trois vampirettes sans âme se ruent sur le visiteur trop peu méfiant.

Quand l'histoire change de registre, à l'issue d'une périlleuse traversée maritime (bribes de plans d'archives) et que le comte s'installe à Londres, Lugosi se calme. Edward Van Sloan est convaincant dans le rôle d' Abraham Van Helsing, le tueur de vampires, l'oubliée Helen Chandler est charmante et fragile en Mina, l'héroïne vidée de son sang et à demi vampirisée, tandis que Dwight Frye vole la vedette dès que Renfield devient un dément gloussant et gobeur de mouches. Avec ses fenêtres gothiques sur cinq étages, le château de Dracula est un sommet du décor cinématographique et les scènes londoniennes offrent à la tanière anglaise de Dracula un escalier monumental et des catacombes. Le final, en revanche, peut paraître un peu décevant: le comte est vaincu beaucoup trop facilement, et sa mort nous est annoncée par un simple gémissement hors champ quand il est empalé.

[Kim Newman]

http://www.senscritique.com/liste/Les_critiques_des_1001_films_a_voir_avant_de_mourir_avec_les/351166
RoroRoro

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