"Le samouraï" revu à la sauce GTA ?
Je vis dans des meublés anonymes à L.A. Je porte un jean serré, des baskets et un blouson en cuir aussi ajusté que mes lunettes noires sur mon visage neutre, ouvert sur le présent. Je suis mutique et méticuleux. Je suis cascadeur le jour, conducteur pour des casses la nuit, mais je reste farouchement attaché à mon statut de freelance, car je suis le meilleur dans ma partie (échapper à la police). Et... je rencontre une fille, avec un gamin. Et je fais l'erreur de m'attacher. Mais son mari sort de taule, est embringué dans un casse miteux pour payer une dette. J'essaie de le couvrir, mais il se fait sécher. Les salauds qui l'ont trahis, je vais les laisser sur le bord de ma route ensanglantée, précis comme une tondeuse à gazon. Mais bon, quelles sont les chances que je finisse à la fin en vie avec la fille ?
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J'ai regardé "Drive" à cause d'un jeu vidéo. Je suis en train de jouer au frénétique "Hotline Miami", qui s'en est inspiré.
"Drive" a l'aura d'un classique, ce n'est pas pour rien qu'on en avait beaucoup parlé à sa sortie. On retrouve les codes du film de gangster des années 70, avec des méchants alternant joggings et costards, mais toujours entourés de poules de luxe. Et de la violence. Une violence jouissive, orgiaque, mais heureusement rare. Tout le monde se souviendra de la scène avec le marteau, mais elle met du temps à arriver. Malgré son format plutôt court, "Drive" est un film lent, parcouru de brèves crises de frénésie. La romance, jamais complétement consommée, avec la fille, met beaucoup de temps à se mettre en place. Beaucoup de scènes, par leur lenteur, et le faible nombre de paroles, font immanquablement penser à un Jean-Pierre Melville.
Mais un Melville qui se serait mis à la sauce électro, avec des effets esthétiques permanents, qu'il s'agisse des voies de L.A. vues du ciel, de jour ou de nuit, des néons, des reflets sur les capots de bagnoles, des lumières glauques d'intérieur, ou des brèves incursions dans des extérieurs d'autant plus bucoliques. De ce point de vue, le film présente un étonnant mélange d'excès (à l'image des lettrages néons roses du générique ou de quelques séquences qui font très clip électro) et de retenue (le hiératisme du héros, beaucoup de non-dit).
C'est à la fois la force et la faiblesse du film : il va au bout de ce hiératisme, qu'il faut accepter ou tourner en dérision. L'air compassé de Gosling a quelque chose d'involontairement drôle, un peu comme le Delon du "samouraï" de Melville, mais pour tout spectateur prêt à donner sa chance au film, derrière cette retenue qui peut sembler niaise, il y a quelque chose de touchant.
L'histoire est complétement prévisible, mais c'est le propre de tout bon film noir. Il est normal que le salopard en costard tente de s'enfuir en rampant à la fin, et que le héros parte avec un coup de couteau dans le ventre, sinon autant regarder un Disney. Mais un ou deux crânes écrasés/coups de couteau qu'on tourne dans la chair m'ont évoqué une mauvaise cinématique de "GTA". J'aimais mieux la violence du Kitano de "Hana-Bi" ou des vieux Scorcese, qui passait plutôt par les bruitages secs que par ce qu'on voyait à l'écran, et c'était tout aussi efficace que de voir la boîte crânienne de Christina Hendricks exploser (oui ça, je ne pardonne pas, c'est vulgaire, point).