Un grand écart époustouflant entre le divertissement pur et la réflexion


-Pourquoi les Chinois ont-ils pris la fleur de prunier pour emblème ?
-Humm! Parce qu'ils se sentent frêles comme les branches de prunier.
-Maître, vous faîtes erreur. Ces fleurs semblent fragiles, mais endurent la neige et le vent. Elles symbolisent le caractère chinois. Puis-je vous demander quel est l'emblème de votre pays ?
- La fleur de cerisier. Sa vie est courte mais intense et radieuse. Celui qui parvient à l'imiter n'aura pas vécu en vain.




De chorégraphe à réalisateur ##



Duel To the Death est une première réalisation importante pour le sensationnel chorégraphe Ching Siu-Tung qui pour un baptême livre un grand film fondateur dans l'élaboration et l'amélioration du style aérien. Un style débridé qui va intentionnellement à l'inverse des codes instaurés en confrontant remarquablement l'esthétique libre du Wu Xia Pian à la puissante droiture du Chambara.


Ainsi de chorégraphes reconnus avec des oeuvres comme The Sword de Patrick Tam, Zu les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark ou encore The Killer de John Woo; il réalise des oeuvres phares comme avec sa saga Histoires de Fantômes Chinois, Swordsman, Dr.Wai... Ce qui est amusant, c'est qu'en définitive sa première oeuvre restera sa meilleure et plus emblématique de toutes.



Contraste entre deux pays orientaux



Duel to the Death présente un périple grandiose centré sur un duel à mort ancestrale ayant lieu tous les 10 ans appelé le Festival de la lune. 2 épéistes prestigieux, Ching Wan (Damian Lau) originaire de Chine, et Hashimoto (Norman Chu) du Japon sont choisis pour représenter leur nation. Deux personnages aussi puissants que vertueux incarnant les moeurs guerrières et moralistes de leur propre patrie.


L'intelligence et l'ingéniosité du récit sont de ne proposer aucun réel antagoniste servant de grand méchant ou de grand héros entre Ching-Wan et Hashimoto. Les deux hommes servent un intérêt personnel et commun à la fois. L'histoire ne favorise aucun des deux, à chacun sa quête, son objectif et ses combats jusqu'à la confrontation ultime, où on n'a aucune idée de qui l'emportera.


Tous deux sont d'une droiture exemplaire, ce comportant en grand maître, annihilant par leur noblesse d'esprit et de valeur les différences et les faux-semblants qui les dépassent. Pourtant, la puissante rivalité entre les deux pays pousse ses dirigeants à s'accaparer par la fourberie, le savoir, la renommée et le pouvoir. Les représentants Chinois et Japonais sont finalement les pourris de l'histoire, chacun voulant assiéger l'autre en se servant de leur champion.



-Demain à cette heure-ci...
-Quoiqu'il arrive, je ferai de mon mieux. J'ai juré à mon maître de ramener cette épée... ou de mourir ici.
-Les adeptes des arts martiaux ont un sort peu enviable. S'ils sont médiocres, leur vie est menacée. S'ils sont bons, ils voudront défier les meilleurs ou ils seront défiés. Ils ignorent la paix.
-Des regrets ?
-J'ai choisi cette vie, je n'ai pas de regrets. Et toi ?
-Je ne regrette rien.
-Il se passe ici des choses étranges. S'il s'y mêle d'autres intérêts, le duel ne sera plus équitable. J'ai confiance en toi.
-Le duel sera équitable.



La force du scénario se révèle sur cette histoire dramatiquement fratricide où deux héros doivent contrecarrer les pièges les plus vicelards et tortueux pour que leur affrontement à mort puisse se dérouler dans des circonstances honorables. Une lutte à mort contre leur propre nation pour pouvoir livrer dans l'honneur et le respect des traditions le fameux duel à mort. N'est-ce pas ironiquement tragique et cruel ?


Une confrontation à travers le temps entre le Japon et la Chine pour l'obsession de la transmission et du savoir, des fautes et des obligations, des guerres et des préjugés frappant des générations entières, dont Hashimoto et Ching Wan sont les rouages d'une immense roue à laquelle ils ne peuvent se soustraire malgré leur esprit chevaleresque.



Une expérimentation d'effets à l'époque incroyable pour un univers fantasmagoriquement riche.



Techniquement en recentrant l'époque ainsi que le contexte, ce film est pourvu de scènes aux images époustouflantes. Les prises de vue sont ingénieuses, les différents cadrages et autres mouvements de caméra favorisent l'intensité du climat. Un ensemble de bonnes idées créant une atmosphère envoûtante avec des décors raffinés et sublimés.


Les détails sont à couper le souffle, un ensemble de fragments (les couleurs vives et chaudes, les costumes, les bruitages de fond entre les pas dans l'eau, jusqu'au crépitement des flammes) capturées très efficacement. Le montage est autant ingénieux que déroutant tant il est expérimental.


La musique est terrible, dans une tonalité très années 80, elle frappe fortement l'esprit par divers titres magnifiques.


L'univers de cette oeuvre est riche, regorgeant d'éléments tirées de contes de fées ne suivant aucune rationalité, ne decervant pourtant à aucun moment la crédibilité du récit. Un condensé de mythologie entre l'art chinois et le manga. Des influences Chinoises et Japonaises superbement mélangées donnant un résultat inattendu. Des armées de ninjas mis en avant comme rarement jusqu'à présent avec des techniques toutes plus improbables et ingénieuses. La technique des cerfs-volants, celle de la fusion, de la téléportation... On a même droit à une tête tranchée explosive... et... et même la technique ninja de la femme toute nu, de quoi faire détourner un moine de Bouddha, vieux coquin lubrique.



Épée chinoise contre katana japonais



Les scènes de combat à l'épée sont titanesques. Habilement chorégraphié par le cinéaste livrant un mélange de techniques fort entraînant. Un contraste entre deux écoles appartenant à deux pays orientaux magnifiés par leurs préceptes et leurs fondements. Un rythme très rapide utilisant beaucoup de coups aériens. L'impact des affrontements est saisissant, renforcé par la violence volontairement sanglant et brute, conférant plus de symbolisme dans les duels. Des combats ultra-féroces jouissifs à souhait.


Le duel final du Festival de la lune au rocher Hsienji est un cadre parfait avec son précipice étroit au bord d'une falaise brumeuse pour livrer un combat anthologique, où les épées se percutent avec puissance et résonance. Une confrontation épique.



-Ils savaient tous que le vrai vainqueur, en fait, c'était la mort.
-La prochaine fois, devant ma tombe ou devant la tienne, qui prononcera ces mots ?




Bien plus qu'un film de sabre



Malgré les nombreux et ardus combats, la conduite de celui-ci est assez calme afin de laisser place à des longs et intéressant segment réfléchi impliquant autre chose que des tueries. Des phases de réflexion sur la vie et la mort, le respect et les stupidités gérées avec talent et soin.


Une direction palpitante, dramatiquement intense, interpellant le modèle Japonais et Chinois par des jugements de valeurs racistes et nationaliste.


Les personnages principaux eux-mêmes se demandent pourquoi tout cela doit être ainsi tant c'est d'une tragédie profonde. L'impuissance de pouvoir pacifier et d'utiliser les arts martiaux et leur philosophie. Ces éléments philosophiques font bien sûr de ce film une pièce de cinéma plus subtile et plus remarquable.



Une fois mort, on n'est plus qu'un nom.



Hashimoto le Japonais est un guerrier d'une droiture exceptionnelle, tiraillé entre les valeurs strictes et honorable du bushido à celle des ordres venant de sa hiérarchie. Un personnage torturé, tragique et flamboyant (mon préféré) incarné avec charisme par un Norman Chu au visage fermé.


Ching Wan le Chinois est un guerrier calme et posé possédant de profonde valeur et ayant un respect pour la vie. Damian Lau confère beaucoup de sympathie à ce personnage valeureux. En comparaison, Hashimoto représente le feu et Ching Wan l'eau. La dureté de la lame face au fourreau protectionniste.



Théorie pour les fan (SPOILER)



Lors du duel final, si on s'arrête à la première impression véhiculée par l'image, Hashimoto perd le duel, y perdant sa vie, laissant un Ching Wan estropié victorieux. Pourtant je ne vois pas les choses ainsi. Pour ma part c'est bien le Nippon le vainqueur et beaucoup de message durant l'histoire confirme ma théorie.


Lorsque Hashimoto coupe les doigts de la main gauche de Ching Wan ainsi que son bras droit, celui-ci lui enfonce juste avant son épée dans l'abdomen du Japonais. À ce moment-là tous deux s'arrêtent et se fixent du regard quelques secondes. Hashimoto toujours son sabre en main dressé peut achever Ching Wan complètement désarmé et hors combat, pourtant il ne le fait pas. Ching Wan baisse son regard et s'en va la tête basse, alors qu'Hashimoto se tourne vers la mer de toute sa droiture pour la contempler fièrement, jusqu'à ce que la mort le prenne.


Ce n'est pas banal mais bien calculé et voici sur quoi je m'appuie : Ching Wan précise à Hashimoto durant le film que les combats à mort n'ont aucun sens, que c'est une folie. Bien qu'il accepte son sort il précise que les combattants ne trouveront jamais la paix car continuellement défiée. En le privant de ses membres pouvant tenir une épée, Hashimoto lui offre cette paix car plus personne ne viendra le défier.


De plus quoi qu'il arrive, Hashimoto devait mourir. Qu'il soit victorieux ou non, car il a désobéi au général pour pouvoir livrer son duel, ce qui lui vaut de ce hara-kiri. C'est pourquoi il précise qu'il mourra peu importe le résultat.
Tout ceci est en écho avec ce que dit au début le vieux maitre Moine Shaolin Chinois :



'' La mort n'est pas nécessairement une défaite ''.



De plus, cela colle avec son symbole du cerisier, une vie courte mais intense n'ayant pas vécu en vain. Pour une vie longue et endurante pour le symbole du prunier a l'aspect fragile pour Ching Wan. Chacun trouve son compte, tout colle parfaitement. À aucun moment la victoire n'est une nécessité pour le Chinois, pour lui, seule la vie compte, là où pour le Japonais la vie se doit d'être éphémère et flamboyante.


Ainsi tous deux obtiennent et respectent leurs valeurs. C'est pourquoi la victoire d'Hashimoto semble être plus logique et perspicace. Une incompréhension des cultures pour deux hommes grandioses qui jusqu'au bout se seront respectés malgré leur incompréhension.


**Dites-moi ce que vous en pensez.


CONCLUSION :


Duel To the Death est une fresque virtuose possédant un concept époustouflant et fantaisiste réussissant un grand écart radical entre le divertissement pur et la réflexion sur le sabre, ces codes, ces thèmes et ces valeurs. Le réalisateur Ching Siu-Tung traite des motifs et des raisons dans lesquels les combattants doivent se battre aux dépens de leur propre vie.


Pour ma part un chef-d'oeuvre que je classe dans mon top 10 des meilleurs films.



-Périr par l'épée d'un grand guerrier est la plus glorieuse des morts.
-Oui.
-N'oublie pas. Tu dois obtenir cet honneur pour notre école de l'Ombre. Récite le premier article de notre loi.
-Oui. "Un adepte du bushido ne combat que pour vaincre. Tel est le premier précepte de l'école. Dans le combat, il ignore la pitié. Si un dieu lui fait obstacle, qu'il le tue. Si un bouddha lui fait obstacle, qu'il élimine ce Bouddha. Il se concentre et n'obéit qu'à son art sublime. N'ayant peur de rien, il se joue des obstacles. Que lui importe d'être face au diable, il ne le redoute pas et il l'éliminera".


B_Jérémy
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 100 de mes meilleurs films tous genres confondus.

Créée

le 27 oct. 2019

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