Un petit coup de gueule tout d'abord : je commence à être agacé par l'adjectif "Hitchcockien" qui est accolé au moindre thriller. Il ne suffit pas d'installer une tension ou de faire jouer une blonde platine pour devenir "Hitchcockien". Comme tous les grands, Hitchcock était unique et même de Palma n'est pas réellement Hitchcockien - il a plutôt bâti son oeuvre sur celle d'Hitchcock, ce qui n'est pas du tout la même chose...

Bon, venons-en à Duelles. Joli titre d'abord, que ce mot-valise qui renvoie à la fois à la dualité et au duel. La brune et la blonde vont en effet vivre une relation d'attraction-répulsion, jusqu'au drame final... que nous ne dévoilerons pas.

D'emblée, la tension est installée, par une musique ad hoc, que d'aucuns trouveront un brin trop appuyée. Une jeune femme blonde passe dans la maison voisine, tire les rideaux, on est d'entrée de jeu plongé dans une intrigue. "Surprise", il ne s'agissait que de préparer un anniversaire ! Assez malin de la part du réalisateur.

Après cette fête, le drame : Alice assiste impuissante à l'accident du fils de Céline, tombé de l'étage (un étage suffisamment haut pour provoquer la mort ? je n'ai pas été totalement convaincu : première faiblesse du scénario). Les deux femmes, dont les fils avaient le même âge, perdent alors leur égalité de statut. Et tout le film va consister à nous faire poser cette question : comment Céline réagit-elle face à ce déséquilibre ? Va-t-elle tenter de tuer Théo, l'enfant d'Alice, à la fois par ressentiment (Alice n'ayant pu empêcher son fils de sauter) et par désir de "remettre les compteurs à zéro" ?

C'est la question que ne cesse de se poser Alice, et nous avec : Céline est-elle une amie ou une ennemie. Au gré des rebondissements, nombreux, du scénario, elle oscille de l'un à l'autre, tantôt angoissée par un détail qu'elle interprète négativement, tantôt rassurée par d'autres signes en sens contraire. Son mari ne voit le mal nulle part et la persuade même qu'elle doit se faire soigner pour paranoïa, après une scène superbe de dispute à la clinique, où Veerle Baetens, qui joue Alice, regards de fou, nous emporte totalement.

On est donc captivé de bout en bout par ce suspens très psychologique. Tout cela est servi par de très gracieux mouvements de caméra (panoramiques latéraux, dans la maison par exemple, ou horizontaux, par exemple dans la scène de l'enterrement de Maxime), un décor soigné (cette maison mitoyenne est à elle seule inquiétante, les couleurs rendent parfaitement les années 60), une interprétation formidable des deux jeunes femmes, Veerle Baetens et Anne Coesens.

Voilà pour les qualités. Passons à présent aux deux grandes faiblesses du film : une mise en scène un peu trop démonstrative, et des incohérences de scénario.

La mise en scène tout d'abord : beaucoup de critiques sur SC ont descendu le film pour cette raison. Pour ma part, je déplore surtout le pathos excessif dans la scène de l'enterrement, et l'utilisation du ralenti : ça, vraiment, faut pas faire, sauf quand on s'appelle de Palma peut-être, à qui on passe ce péché mignon tant le reste est passionnant sur le plan cinématographique... Pour le reste, notamment cette musique un peu trop ronflante, je trouve que cela permet au film de fonctionner.

Deuxième critique, plus sérieuse, les problèmes de scénario, pour lesquels j'active l'anti-spoiler :

1- Une piste est ouverte dans le film : il y aurait eu une histoire entre Alice et le mari de Céline. On le voit hésiter à la prendre par la taille lorsqu'elle lui présente ses condoléances ; puis il la prend dans ses bras en lui demandant : "il te manque ?..." ; enfin, il dit à Céline "mon fils", celle-ci le gifle et corrige "notre fils". On se demande : Alice serait la mère de Maxime ? Mais comment serait-ce possible ? Le film n'en dit pas plus. Un choix qui pourrait se défendre (laisser planer le mystère) si l'hypothèse était crédible ! Mais là, Céline sait forcément si elle a ou non accouché de Maxime. Non ?
2- Comment expliquer que Théo mange les gâteaux auquel il est allergique ? Ses parents lui posent la question, mais il ne répond pas. On reste donc avec ce geste tout à fait invraisemblable, que rien, dans le film, ne vient expliquer.
3- Alice et son mari meurent asphyxiés par le gaz, Théo s'en sort, et la police n'y voit rien de louche ? C'est une histoire belge ou bien ?!... Là encore, le film ne s'embarrasse pas de fournir des explications.

Ces quelques faiblesses me laissent juste sur le seuil du 7. Sans le franchir : 6,5 donc.

Jduvi
7
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le 6 mai 2023

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Jduvi

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