Le film de Denis Villeneuve commence par des plans sur Arrakis. Une célébration du désert, de sa beauté minimaliste, minérale. De son mode de vie également. En quelques plans, le cinéaste canadien prouve qu’il a déjà compris cet élément essentiel du roman de Frank Herbert : le véritable protagoniste de l’histoire, c’est la planète elle-même. Cela se déclinera avec bonheur au fil du film. Dans cette première partie, l’un des objectifs principaux consiste à apprendre à vivre avec cette planète, à en accepter les règles et la nature. Pour comprendre Dune, il faut l’accepter telle qu’elle est et apprendre à vivre avec, et non à survivre contre elle. C’est ce qui fait de Paul un personnage à part : il semble connaître intimement les règles de vie sur Dune avant même de mettre un pied sur la planète ; s’il est accepté par les Fremen, s’il est perçu comme l’homme de la prophétie, c’est parce qu’il semble se comporter comme un Fremen avant même de les rencontrer.
Finalement, les Fremen, ce sont ceux qui ont appris à vivre en respectant la planète. Ils se sont adaptés à Arrakis, au point de vivre en elle. Ils se confondent avec le désert, ils se fondent en lui, au point même d’adapter leur marche pour qu’elle suive les bruits naturels du désert. Dune, c’est cela : l’homme qui reconnaît la supériorité de la nature et s’adapte à elle. Les Fremen sont ceux qui surgissent du sable comme s’ils y vivaient naturellement, là où les Harkonnen sont ceux qui restent à la surface, prennent ce qui les intéresse et repartent.
Ce lien avec la nature, avec la planète, est central dans le film. Sur ce thème, une scène est importante : la première fois que Paul est dans le désert (la scène où la moissonneuse est attaquée par le ver), il ne rejette pas le contact avec la planète, même si elle paraît dangereuse. Il prend le sable dans sa main, il rejette l’appareil où il devrait respirer. Et en échange, la planète semble lui parler, l’accueillir, le reconnaître.
C’est là l’erreur des autres humains. Les Harkonen veulent Dune pour la fortune qu’elle leur procure, via l’épice. La Guilde veut Dune parce que l’épice permet les voyages. Le Duc veut Dune pour que l’épice protège sa fonction sociale (il craint une diminution de la production d’épice parce que cela nuirait à sa fonction, à son rôle, donc à la place qu’il occupe dans l’univers).
Paul est le seul qui ne veuille pas Dune ni l’épice. Il prend la planète pour ce qu’elle est, un être vivant.
Ce thème de la nature et cette volonté, cette illusion humaine de dominer la nature, est un des thèmes centraux du film. C’est le cas dans l’épreuve du Gom Jabbar, qui vise à « dominer sa nature animale » ; c’est le cas également dans l’ensemble de l’oeuvre, où la technologie est, au mieux, inefficace (les boucliers), voire inexistante. La seule issue est de vivre avec la nature, de connaître la nature, de s’y fondre, comme Paul se glisse dans la plante en hologramme pour échapper au « chercheur-tueur ».


Je ne vais pas renier le plaisir que j’ai eu à voir le film de Villeneuve. Dune m’a bluffé. Son sens de la narration est impeccable : pas une image en trop, un rythme haletant. Les effets spéciaux sont, une fois de plus, impressionnants. C’est même la première fois que le pâle Timothée Chalamet me convainc, moi qui ai toujours douté jusque là de la réalité de son talent.
Il faut dire que, dans cette première partie, Paul est un personnage complexe, en proie aux doutes. Un jeune homme assailli par des rêves et des visions sans en comprendre le sens. Et Villeneuve cherche aussi à distiller ce doute dans l’esprit du spectateur : lorsque Paul arrive sur Arrakis, il est salué comme Lisan al-Gaib, la Voix venue d’ailleurs, mais est-ce un signe de reconnaissance, ou simplement une leçon enseignée par le Bene Gesserit et apprise par cœur ? Cela rejoint l’ambiguïté du rôle du Bene Gesserit et de son rapport avec Paul : faut-il le voir comme une aberration, une faute commise dans le plan millénaire eugénique, ou comme l’aboutissement effectif de ce plan ? Du coup, faut-il le combattre ou le soutenir ?


Cependant, si j’ai vraiment passé un très bon moment en regardant le Dune de Villeneuve, j’ai paradoxalement un sentiment d’inachevé (qui n’a rien à voir avec le fait que ce soit une première partie seulement). Quelques petites restrictions qui apparaissent encore mieux si on fait une comparaison avec le film de Lynch.
Par exemple, Villeneuve a fait le choix de ne pas intégrer de voix off, comme Lynch l’avait fait. Or, dans une œuvre où la spiritualité et les questionnements intérieurs de Paul (et, accessoirement, de ses parents) sont si importants, on a l’impression de passer à côté de quelque chose. Refusant partiellement cette intériorité du récit, Villeneuve fait une œuvre qui reste plus en surface des choses. La scène du Gom Jabbar en est un bel exemple, bien plus réussie chez Lynch que chez Villeneuve.
C’est, globalement, cette impression de superficialité qui constitue le principal défaut du film. Villeneuve fait un film visuellement superbe, et cette splendeur est à la fois une qualité et, presque, un défaut, tant elle participe à un lissage, un polissage excessif du récit.
Un des exemples de ce manque de personnalité du film tourne autour du Baron Harkonnen. Si je ne suis pas un grand fan du baron version Lynch, je le trouve quand même beaucoup plus intéressant que celui de Villeneuve, qui paraît un peu fade. C’est significatif du film de Villeneuve, qui se veut très lisse, très poli, sans rien qui dépasse. Lorsque le baron tue quelqu’un, chez Villeneuve, ça se fait de façon masquée, on ne voit rien, pas la moindre goutte de sang, pas le moindre cadavre en vue. Chez Lynch, le sang gicle, le baron s’en asperge, se baigne dedans. Cette différence est constitutive de deux projets fort différents : Villeneuve fait un spectacle très beau, trop beau, qui doit rester accessible à tous et qui manque un peu de vie, Lynch filme un cauchemar éveillé.
Finalement, il est possible de se dire que l’adaptation idéale de Dune serait un mélange entre le film de Villeneuve et celui de Lynch.
Si je conserve quand même une note élevée, c’est parce que Villeneuve fait un film impressionnant, un blockbuster aussi beau qu’intelligent.

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le 15 nov. 2021

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SanFelice

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