Après un an de délai et une attente grandissante, Dennis Villeneuve nous présente enfin son rêve de gosse. Ou du moins, la première partie, comme le titre aime bien nous le rappeler. David Lynch s’y était tenté il y a presque 40 ans et tout le monde a bien en mémoire le ratage que ça a pu être. Est-ce que l’œuvre si dense, si riche, si détaillée, si complexe d’Herbert était vraiment aussi inadaptable que sa réputation le laissait entendre ? Dennis Villeneuve nous y répond en nous proposant un film sublime, superbe, et sans aucun doute un des meilleurs du genre. Voici le résultat d’un film où son équipe y a mis toutes les tripes pour donner le résultat le plus abouti possible, sans la confirmation derrière que la suite serait actée.


À l’image de l’œuvre originale, le film de Villeneuve est aussi dense qu’elle est riche, pour poser son univers, ses personnages, mais aussi son ambiance. Si le film mettra un peu de côté les intrigues géopolitiques entre les familles, l’Imperium et la Guilde, si le discours religieux et philosophique seront un peu mis en retrait par soucis de clarté, on y retrouve l’essence même du livre. Son atmosphère parfois décousu entre les scènes ; ce rythme qui prend le temps de se poser, de prendre racine, de se développer ; ces fulgurances d’action ici et là qui créent une tension de chaque instant ; ces personnages aux multiples facettes, pas forcément facile à saisir dès le départ.


Ce film est une fresque épique, à l’image du livre original, et parviendra à l’adapter avec brio. Tous les éléments majeurs y sont présents et chacun se révèle aussi passionnant que dans le matériaux original, parfois même plus ! Certains détails qui paraissent anodins y ont plus de valeur grâce aux supports du film ; d’autres éléments plus importants se retrouvent transcender par l’image et le son. Si certains personnages seront un peu en retrait par rapport au livre (je pense notamment à Shadout), ce n’est que pour mieux laisser la place aux autres pour s’exprimer et semer les graines pour la suite à venir.


J’ai vraiment beaucoup aimé ce rythme, car on se retrouve avec un film de 2h35 qui pourtant ne paraît si long, alors que paradoxalement on a beaucoup de scènes de contemplation et de mise en place (surtout dans la première moitié). Il n’y a pas tant de scènes d’action que ça, mais lorsqu’elles arrivent, elles savent prendre le temps pour nous immerger et nous proposer un véritable spectacle. De même que les arcs narratifs des personnages respectent là-aussi assez bien le livre, tout en parvenant à s’adapter au format cinéma plutôt que d’en faire une transcription littérale. Et c’est peut-être là l’atout du film : il adapte plus qu’il ne transcrit, sans pour autant trahir l’esprit de l’œuvre. Un exemple parmi tant d’autre, c’est bien sûr sa diversité au sein des personnages (aussi bien principaux que figurants) : cette diversité, même si elle s’éloigne de l’œuvre de Herbert pour certain, lui reste au final assez fidèle dans l’esprit.


Comme je disais, les aspects géopolitiques, religieux et philosophique sont un peu mis de côté, bien que disséminés ici et là, sans pour autant nuir à l’ensemble du film. Alors il est difficile de juger, parce que si le film a une coupure assez logique au niveau du développement du personnage de Paul et de l’intrigue, on n’a eu qu’une moitié et il reste pas mal de choses à aborder, de personnages à introduire. Difficile donc de juger si des omissions/raccourcis sont là pour assurer une première partie solide et accessible au grand public, afin de les introduire plus tard une fois que l’univers est bien introduit.


Le casting est superbe ! À l’image du livre, on se retrouve avec un film choral avec un casting cinq étoiles de haute volée. Dès l’annonce, ça m’avait mis l’eau à la bouche, et ce film ne fait que le confirmer. Oscar Isaac est superbe en Leto Atreides, incarnant à merveille l’idée et l’image que j’avais du personnage. Josh Broslin se révèle presque encore plus hard core en Gurney que dans le livre. Stephen McKinley Henderson m’a semblé convainquant en Thufir Hawat, même si plus discret que dans mes souvenirs (idem pour Chen Chang en Yueh). Charlotte Rampling est formidable en Révérante-Mère, de même que Javier Bardem en Stilgar, et cela même si on les voit beaucoup trop peu (tout comme Babs Olusanmokun). Et David Dastmalchian est encore une fois une merveille.


Sans surprise, Dave Bautista en Rabban et Jason Momoa en Duncan se régalent et imposent une prestance incroyable. J’ai beaucoup aimé Sharon Duncan-Brewster en Kynes, elle dégage un certain charisme. Stellan Skarsgård nous offre une fois de plus une prestation de haute volée, en incarnant un Baron aussi grotesque qu’effrayant, qui dégage une terreur dans chacune de ses scènes. Rebecca Ferguson m’a tout autant convaincu en Dame Jessica, même si peut-être plus en retrait que dans le livre (pour le moment), mais il y avait cet équilibre entre détermination et faiblesse. Zendaya reste assez proche de ce qu’elle a pu faire dans d’autres films, mais ça fonctionne plutôt bien ici.


Pourtant, la pièce maîtresse de ce casting, c’est bien sûr Timothée Chalamet. Dès l’annonce, ça sentait très bon, mais il confirme dans cette première partie qu’il est né pour incarner Paul Atréides. Que ce soit physiquement que psychologiquement, il réussit à incarner à merveille ce personnage particulier et passionnant. Il parvient à lui donner tout son charisme lors des scènes majeures, tout en lui ayant ce côté à contre-courant des héros habituels. Il dégage un certaine tension lorsque son personnage évolue et comprend sa destinée, ce qui lui permet de jouer avec toutes les différentes facettes. Et il s’en sort à chaque fois. Mieux, il impressionne par tant de maturité.


Quant à l’aspect technique, le film est une tuerie, disons-le simplement. Chose presque incroyable, le point un peu plus faible sera peut-être le sound design et la musique. Là aussi, Hans Zimmer a l’occasion de réaliser un rêve et il s’en est donner à cœur joie, au point de pousser jusqu’au bout sa marque fabrique. Certains trouveront ça énervant, on peut-être y voir un manque d’originalité ; pourtant, une fois de plus, ça fonctionne. Plus qu’une partition épique comme il a pu en faire, Zimmer propose avant tout une musique atmosphérique pour accompagner un film et aider à créer cette atmosphère si unique et particulière, au point qu’on ne distingue plus musique et son, l’ensemble forme un tout cohérent et inaliénable.


Dans le même département, notons également la façon dont le son est utilisé, parfois déformé pour créer une atmosphère étrange, voire dérangeante. Ça passe par les voix que Paul peut entendre, tout comme ils ont retranscrit la Voix du Bene Gesserit. Et puis les différentes langues parlées, qui témoignent là aussi de la diversité de cet univers, mais rappellent aussi les racines qui ont inspiré Herbert dans son œuvre ou bien témoignent de la véritable nature des personnages qui les emploient (la langue des Fremen qui, sans surprise, a des consonnances arabisantes ; ou bien celle des Sardaukar, presque déshumanisée.


Les décors sont somptueux et pas que : tout le travail artistique derrière est splendide. Les décors bien sûr, que ce soit pour nous montrer les différentes planètes, mais surtout mettre en avant cette Arrakis tant fantasmée. Que ce soient les décors naturels aux environnements aussi variés qu’opposés, apportant une identité visuelle très forte, mais aussi ceux artificiels pour représenter ce monde futuriste. De la même sorte, les costumes sont magnifiques, aussi bien les armures que les distilles ou les uniformes ; encore une fois, tout s’inscrit parfaitement au sein de l’identité visuelle de l’univers. On peut aussi étendre cela aux accessoires : armes, outils, véhicules (les ornithoptères notamment). Tous témoignent d’un vrai travail de création artistique en amont pour donner vie à cet univers.


Les effets spéciaux seront tout aussi efficaces. Sans pour autant être révolutionnaire, le film s’appuie sur des techniques bien connues, alliant à la fois numérique et pratique, pour nous plonger dans cet univers et le rendre encore plus vrai que nature. Il y a les différents vaisseaux, leur designs et leur incrustation dans le récit, les scènes d’actions spectaculaires et dantesques. J’ai beaucoup aimé la façon dont les fameux boucliers sont intégrés visuellement, ça rend bien mieux que dans a version de Lynch, et ça reste cohérent avec le reste du récit. Et puis il y a bien sûr Shai-Hulud : impressionnant, imposant, ils ont encore un rôle de fond dans cette histoire mais leur présence se fait sentir à chaque instant. Leur design fonctionne déjà à merveille avec les petits détails qui seront utiles pour la suite (les dents, les écailles), mais ce qui les rend aussi réels, c’est la façon dont l’équipe a réussi à jouer avec le sable pour simuler leur présence, le rendre presque liquide par moment, avec ses ondes, ses vagues… Tout simplement incroyable !


Ajoutons à cela la photographie absolument magnifique de bout en bout. Si la mise en scène de Villeneuve parvient à capturer son intrigue pour la rendre palpitante, c’est bien sûr la photographie qui transcende l’ensemble pour en donner un aspect épique, presque légendaire. Les jeux sur les différentes lumières pour illustrer les différentes ambiances et atmosphères, les jeux sur les ombres pour donner de nouvelles dimensions aux scènes, l’importance donnée à la poussière (quand ce n’est pas de l’épice) pour recréer cette atmosphère propre à Dune. Ou même ces quelques passages ici et là où l’image présente un grain argentique, ce qui donne une texture particulière et participe à créer l’atmosphère générale du film. Et puis bien sûr, ces plans où Villeneuve s’amuse à jouer sur les échelles, pour donner une toute nouvelle notion à l’espace mais aussi à la dimension de son œuvre. En IMAX, le tout n’en est que plus grandiose.


Ce qui ressort de cette première partie, c’est que Dennis Villeneuve a réussi. Les attentes étaient grandes, mais j’avais confiance et celle-ci n’a pas été trahie. Adapter Dune dans toute sa complexité, sa richesse, sa densité reste peut-être hors de portée ; mais on peut d’hors et déjà dire que le chef d’œuvre d’Herbert, classique fondateur de la science-fiction a enfin eu droit au film qu’il méritait. On ne peut qu’attendre la deuxième partie avec impatience !

vive_le_ciné

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