Il y a plus de vingt ans, j'ai lu Dune et l'ai désigné comme ma saga de SF préférée. Il y a six ans, j'ai vu Sicario et déclaré que Denis Villeneuve était désormais mon réalisateur favoris. En 2021, les étoiles se sont enfin alignées.
Le résultat est-il à la hauteur de mes attentes ? Bien sûr que non. J'espérais un 12/10, une entrée immédiate dans mon Top 10, une envie de le recommander à la terre entière. Au lieu de ça, j'ai vu un très bon film, maîtrisé d'un bout à l'autre, visuellement époustouflant et aussi prenant dans l'action que dans la contemplation.
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La direction photo est fantastique : Les architectures brutalistes des extérieurs révèlent des intérieurs minimalistes aux lumières étouffées, qui contrastent avec les étendues désertiques d'un blanc cru et abrasif, paradoxalement glaçantes.
Le design des vaisseaux et des appareils déborde d'élégance et d'inventivité, avec un sens de la démesure qui sublime les échelles et donne lieu à des images incroyables. Chaque plan est un régal pour les yeux et un travail d'orphèvre.
Seul bémol visuel : Villeneuve et Fraser (directeur photo) ont pris le parti de tout filmer en lumière naturelle et la lisibilité s'en ressent. Même au cinéma, dans des conditions optimales, certaines scènes vous feront plisser les yeux et on n'est pas si loin de la bataille de Winterfell.
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Villeneuve n'en est pas à son premier projet impossible. En 2017, il avait réussi à donner une suite à Blade Runner. Dune a la réputation d'être un roman inadaptable. Lynch s'y est cassé les dents en 1984, suivi par la chaine Sci Fi qui s'y essaya en 2000, le temps d'une mini-série (injustement ?) mal connue.
Et pourtant, il réussit le pari de faire un film accessible pour le profane sans être assommant pour les fans. Et c'était loin d'être gagné d'avance : l'univers est touffu, avec un paquet de personnages et de factions, plusieurs planètes et un vocabulaire très spécifique.
Il serait facile nous vomir tout ça sur la tête avec un écran de texte déroulant en début de film, ou des personnages qui se racontent l'un l'autre l'histoire du monde, sans aucune raison. Au lieu de cela, les informations arrivent graduellement et le film reste centré sur le personnage de Paul plutôt qu'aller se balader dans les affaires politiques des autres factions.
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J'ai une affection particulière pour le film de Lynch et malgré toutes les libertés que prend le script, je la trouve remarquablement fidèle à l'esprit du roman, en plus de répéter certains dialogues à la lettre.
Le Dune de Lynch est une oeuvre fascinante de bizarrerie. Et je ne parle pas de l'étrangeté Lynchienne habituelle où l'irruption du générique donne l'impression de s'éveiller d'un rêve enfiévré après une overdose de LSD. On est plutôt dans un mélange de kitch, de baroque et de punk, où vous pouvez avoir dans la même scène un rouquin obèse au visage en décomposition, avec un pyjama SM, et le chanteur Sting qui prend un bain de vapeur vétu d'un slip en métal. Et est-ce qu'on parle de la machine à traire les chats ?
J'aime la manière dont cette imagerie dérangeante et décadente évoque une société en pleine deliquescence, et les implications politiques des dialogues à plusieurs niveaux de lecture. Certaines scènes manquantes dans la nouvelle version esquissaient aussi un univers plus large et complexe que ce qui était montré, sans pour autant noyer le spectateur. Je pense notamment à la confrontation entre l'Empereur et le navigateur de la Guilde.
Le Dune de Lynch est un film extravagant, boursoufflé et imparfait, qui oscille sans cesse entre le grandiose et le grotesque, avec un vrai souffle épique mais un rythme complètement aux fraises et un paquet de décisions artistiques discutables. Et je n'ai jamais eu autant envie de le revoir qu'après avoir vu la version un peu trop sage de Villeneuve.
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Le film ne commet aucun faux pas : musique, photo, casting, rythme, dialogues... Tout est là, parfaitement à sa place, et la quantité de talents cumulés est étourdissante. Pourtant, il ne parvient pas à s'élever au-delà de la somme de ses parties.
Je ne sais pas ce qu'il lui manque : un supplément d'âme, de coeur, un grain de folie ? Quelque chose qui me ferait dire "Je n'ai jamais rien vu de pareil." J'ai bon espoir qu'il ne lui manque que son épisode 2.
[EDIT - 2024]
En le revoyant quelques années plus tard, sans l'effet de surprise, sans l'effet cinéma, et en compagnie de ma moitié qui ne connait rien à cet univers, je l'ai un peu relativisé. Ce n'est qu'en faisant abstraction du fait que je connais l'histoire par coeur que j'ai réalisé à quel point le script est confus et présente très mal les personnages, les factions et les spécificités de son univers. En discuter avec des amis qui l'ont vu dans la même situation n'a fait que me confirmer qu'il était totalement imbitable pour qui n'a aucune connaissance du matériau d'origine.
La version de Lynch utilisait toutes les astuces interdites comme la voix off en début de film ou les monologues intérieurs des personnages, et passait proportionnellement plus de temps sur Caladan pour introduire ses protagonistes et les enjeux dramatiques, puis plus de temps avant l'attaque sur Arrakis pour cimenter tout ça. Avec son économie de dialogues, le film de Villeneuve est indiscutablement plus élégant, mais à quel prix ?
Alors ça balance du jargon dans tous les coins, sans prendre le temps de l'expliquer : deux Bene Gesserit discutent du Kwisatz Haderach mais leur conversation est finie presque avant de commencer et... c'est quoi, au fait, une Bene Gesserit ? À la fin du film, vous ne savez toujours pas comment se cuisine l'épice. En tout cas, ça a l'air important et des gens s'entretuent pour la récolter, mais c'est quoi ? Dans certains cas, il aurait suffi de changements subtils : ajouter une réplique ou intervertir deux scènes, pour rendre tout ça un peu moins cryptique.
En l'état, Dune Part 1 est une superbe mise en image pour amateurs de Dune. Si vous avez lu le roman ou vu l'une des deux précédentes adaptations, vous allez passer un super moment. Sinon, je conseille fortement de le voir avec quelqu'un qui saura expliquer certains tenants et aboutissants, car il est compliqué de le faire soi-même sans avaler de spoilers.