Denis Villeneuve est probablement un garçon bien élevé, un être poli, qui s'est fait un devoir de satisfaire ses contemporains. C'est d'ailleurs ce qu'il s'applique brillamment à réaliser depuis l'époque un peu lointaine désormais où il a embrassé la carrière de cinéaste. Puis est venu le temps d'adapter "Dune", roman culte de la Science-Fiction s'il en est, réputé comme souvent inadaptable, mais porté à l'écran de manière tout à fait singulière par Lynch, dans une version décriée pour son incohérence et son aspect foutraque.

Notre cher Denis, brillant réalisateur a donc en 2021, réadapté le roman de Frank Herbert, de manière à le rendre accessible à tous, dans un exercice très explicatif à l'esthétique soignée, quasi unanimement salué dans la même dithyrambe par les critiques et spectateurs, comme étant un "blockbuster d'auteur". Mais pour certains, "Dune" dans sa première partie était une œuvre un peu trop contemplative à la plastique trop épurée.

Soit...,

Aidé en cela par le fait de n'avoir pas tourné les deux métrages dans le même temps, comme ce fut le cas pour certains "sérials" ( le SDA, Retour vers le futur), le réalisateur canadien produit ici un deuxième opus radicalement ( tout au moins voulu comme tel) différent du premier dans son approche et dans son rythme.

Loin d'être une simple déclaration d'intention, cette volonté de changement de ton (adoptée dans l'optique de "faire ressembler Dune 2 à l'Empire contre attaque" (?...) transpire effectivement par tous les pores de ce "deux", dont le gros premier tiers est une immersion (ratée) au cœur de la tribu des Fremen du nord, entrecoupée chaotiquement de scènes d'actions. C'est bien là (ce n'est que mon modeste avis) que le bât blesse à nouveau : qu'il ait agi de son propre chef ou sur demande de l'exécutif de la Warner, Villeneuve se trouve de nouveau contraint, empêché par son processus narratif.

La grande réussite, (quoique l'on puisse en dire) du premier opus se trouvait dans des scènes de dialogues certes très explicatives, mais nécessaires à la compréhension d'un univers finalement assez Shakespearien. Les scènes de Sf hormis leur beauté formelle, n'avaient pas la fougue et le lyrisme nécessaire pour faire un contrepoint cohérent aux scènes d'exposition. De la même manière ici, et principalement dans le premier tiers du métrage, les scènes d'action, devenues passages obligés, surviennent souvent sans contexte. Succédant aux scènes de dialogue, elles s'insèrent lourdement dans une trame narrative encore poussive. Pour se dépêtrer de cette dichotomie contraignante, le réalisateur recourt à plusieurs endroits à un gimmick, qui pour raccrocher les wagons d'une intrigue un peu lointaine, ponctue une scène d'action par un très long travelling avant à travers le désert jusqu'au lieu (ou au personnage ) qui peuplera la scène suivante. Evidemment, certaines scènes -et c'est heureux au vu du budget- sont très réussies, notamment celle " du rite initiatique de Paul" ou l'impressionnante attaque des vers. Mais, la plupart que l'on nommera plus globalement scènes de de mouvement, apparaissent plus classiques et empruntent aux compositions de plans des blockbusters qui ne sont pas d'auteurs : foules d'individus dupliqués numériquement filmées par nécessité dans un plan d'ensemble écrasé par une impression de focale trop courte donnant un curieux sentiment d'oppression, figures héroïques en mouvement au premier plan dominant un fond numérique sans contraste de couleurs.... Surtout ces scènes qu'elles soient réussies ou moins réussies ne permettent pas de sauver totalement l'équilibre précaire de l'œuvre et cet enchevêtrement confus d'une première partie bien longue, hésitant encore une fois entre l'actionneur de sf et l'immersion au cœur du peuple du désert. A ce titre, les scènes à l'intérieur de la communauté Fremen sont surprenantes également : cette population d'anonymes (à l'exception des deux "héroïnes : Shishakli et Chani) menaçante car méfiante à juste titre envers les Atréides, est présentée comme une communauté guidée quasi exclusivement par la foi, composée d'êtres certes valeureux mais un peu apathiques (très souvent assis en rond attendant..)

Les autres communautés quasi absentes de cette première partie sont donc, et c'est très regrettable, bien moins développées dans la seconde partie du film et dans sa conclusion. La Princesse Irulan Corrino (remarquable Florence Plugh), narratrice et fille de l'empereur (C.Walken remarquable également) sont très peu présents, sans doute leur réserve t-on une place de choix dans le troisième opus. Feyd-Rautha , neveu du baron Harkonen et Margot Fenring, probablement les antagonistes les plus charismatiques et les plus inquiétants, sont simplement introduits en vue de la scène finale.

Un final dont les enjeux dramatiques

et l'étonnante révélation des sombres desseins de Paul

semblent encore une fois expédiés avec un empressement surprenant, alors que la dimension tragique et épique de l'œuvre aurait pu naître de cette révélation.

Mais, là aussi gageons que ces développements sont encore une fois réservés pour la troisième partie, qui peut-être démarrera réellement le cycle.

Yoshii
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2024, Les films les plus attendus de 2024 et Ça s'est passé en 2024

Créée

le 28 févr. 2024

Critique lue 10.3K fois

153 j'aime

19 commentaires

Yoshii

Écrit par

Critique lue 10.3K fois

153
19

D'autres avis sur Dune - Deuxième partie

Dune - Deuxième partie
blobyla1
7

Du grand et beau cinéma, malgré tout.

Ce qui m'a toujours fasciné chez Denis Villeneuve, ce sont ces réalisations impressionnantes, cet impossible projet dans le regard de son objectif, qui soudainement se transforme en une vision du...

le 4 mars 2024

174 j'aime

2

Dune - Deuxième partie
Yoshii
5

Ensablement d'un blockbuster d'auteur

Denis Villeneuve est probablement un garçon bien élevé, un être poli, qui s'est fait un devoir de satisfaire ses contemporains. C'est d'ailleurs ce qu'il s'applique brillamment à réaliser depuis...

le 28 févr. 2024

153 j'aime

19

Dune - Deuxième partie
Plume231
3

Épices sans goût !

Alors, je ne sais pas si c'est le cinéphile que j'étais en 2021 qui était nettement plus indulgent que celui que je suis en 2024 (j'ai trop la flemme et trop d'autres films à visionner pour le...

le 28 févr. 2024

112 j'aime

60

Du même critique

Il reste encore demain
Yoshii
8

Des lendemains qui tabassent

Sorti en Italie au cœur de la vague d'indignation suscitée par l'assassinat de Giulia Cecchettin par son ancien petit ami (le 106ème féminicide en 2023 de l'autre côté des alpes), "C'è ancora...

le 12 mars 2024

84 j'aime

3

Civil War
Yoshii
8

« Nous avons rencontré notre ennemi et c'est nous encore » *

Jamais peut-être depuis 1938 (et le canular fabuleux d'Orson Welles, qui le temps d'une représentation radiophonique de "La guerre des mondes" sema la panique aux Etats-Unis), une illustration...

le 15 avr. 2024

66 j'aime

12

Sans jamais nous connaître
Yoshii
9

Lettre d’un petit garçon à ses parents

Chère maman, Hier au cinéma, ou peut-être était-ce chez moi le jour d'avant, j'ai vu un film, enfin quelque chose qui ressemble à ça. J'ai beaucoup aimé. Ou peut-être pas du tout... Je ne sais plus...

le 9 févr. 2024

55 j'aime

8