Vénéré par beaucoup, détesté par certains, Christopher Nolan déchaîne les passions et semble par moments victime d'un succès qui le dépasse. Depuis sa trilogie sur le Dark Knight, il est souvent vu, et un peu à tort, comme le grand manitou du cinéma moderne. Chacun de ses films est un événement et la plupart sont considérés comme d'immenses chef d'oeuvre. Il est donc difficile de se faire un avis sur son cinéma sans froisser ses admirateurs ou ses détracteurs qui ont tendances à plonger dans les extrêmes sans véritables nuances. Alors que même si il a connu de belles fulgurances dans sa carrière, Memento, The Dark Knight et The Prestige pour ne citer qu'eux, Nolan s'est surtout enfermé dans un style qui tend à montrer de plus en plus ses limites. Que ce soit dans l'assurance prétentieuse d'Interstellar qui ne prend pas conscience de sa propre absence de subtilité et de son final ridicule, ou encore le pur film-concept Inception qui fait souvent office de cache-misère pour cacher son manque d'enjeux flagrant, Nolan y démontre la faiblesse de sa rigueur créative.


Cinéaste du réel, du temps et de l'enfermement, il tente de faire une synthèse de sa carrière et de ses thématiques au sein de ce Dunkirk. Un fait historique réel où s'est joué une course contre la montre pendant que des milliers d'hommes étaient enfermés sur une plage avec très peu de possibilités de fuite. Sur le papier, Dunkirk s'apparente au film ultime de son auteur et dans les faits il conjugue tout autant ses qualités que ses défauts. Ces principaux défauts étant qu'il n'a jamais vraiment appris à maîtriser ses thématiques. Même si au niveau de l'enfermement de ses personnages il a toujours su y donner corps, que ce soit le traumatisme d'enfance dans la trilogie Batman, les troubles psychiques dans Memento ou Insomnia mais surtout la perte et le deuil qui s'est fait une place dans l'ensemble de sa filmographie. Ici, l'enfermement est plus concret, il n'est pas mental mais très clairement physique et permet d'ajouter une tension plus palpable faisant de ça l'enjeu principal du film. Nolan arrive à faire des choix intéressants autour de cet enferment, notamment dans sa volonté de ne pas montrer frontalement l'ennemi et le laisser hors champ. Seuls leurs coups de feu fusent et les personnages sont d'en l'incapacité de se battre et doivent seulement fuir un ennemi invisible. Cela permet de souligner l'imprévisibilité de leurs attaques et donnent un aura presque mystique à l'ennemi, parfaitement souligné par la dimension sonore qui les accompagne pendant les passages de bombardements où leurs arrivés s'apparentent presque à des colères divines. Néanmoins ce procédé peut aussi s'apparenter à un cache-misère, souvent utilisé chez Nolan, de laisser les affrontements en hors champs car celui-ci à déjà prouvé ses difficultés à mettre en scène des passages plus musclés.


Ce qui vient souligner par moments ses difficultés à filmer le réel. Même lorsqu'il s'attaquait à la science-fiction par le passé, Nolan filmait toujours ses œuvres comme des objets issues d'une certaine forme de réalité mais cette volonté de s'ancrer dans le réel contrebalançait souvent avec les abracadabrants virages du scénario. L'osmose était parfaite dans le mysticisme de The Prestige mais le tout s'effondrait comme un château de carte dans le dernier acte d'Interstellar. Ici cette volonté de réel s'effectue en deux temps. D'abord, on ne peut qu'être subjugué par la qualité de la reconstitution mais aussi de l'ampleur de l'entreprise. Techniquement, Dunkirk est un monument il n'y a aucun doute la dessus, notamment grâce à la somptueuse photographie de Hoyte Van Hoytema qui magnifie les cadres et donne un côté encore plus désespéré à l'ensemble grâce à sa rugosité. Mais le travail sur le sound design est tout aussi admirable avec les coups de feu qui fendent l'air, l’assourdissement des bombardiers ou encore les coques de bateaux qui craquent pendant que ces derniers coulent. L'ambiance sonore est imparable mais un peu trop étouffé sous le score minutieux mais trop présent de Hans Zimmer. Pour certains passages, le film aurait gagné à laisser les images parler d'elle-même. Et c'est la que le contrecoup du réel se fait ressentir. Dans sa volonté de rester très factuelle dans son approche, Nolan en oublie de faire des choix et son film manque d'âme. Tout est très beau mais au final très peu semble être mis en scène, il ne filme que des faits. Il n'embrasse pas vraiment le point de vue d'un personnage car il se concentre sur l'opération dans son ensemble plus que sur le destin d'individus. Lorsqu'un personnage pourtant central semble se noyer, la caméra ne restera pas avec lui et va plutôt filmer un autre événement qui montre qu'il va s'en sortir. Il filme plus la porte de sortie que véritablement le calvaire vécu pas ces hommes. Même si il s'impose comme un réalisateur hors norme dans cette volonté de tout reproduire, il garde une distance qui casse avec cette volonté de réel qui nous rappelle que l'on est face à un film régit par des codes. L'absence de violence graphique tranche avec la réalité de la guerre et le tout apparaît trop propre, sans prise de risques et au final trop sage ce qui vient amoindrir la tension que l'on est censé ressentir.


Car plongeant in medias res dans l'action et ne la quittant plus jamais, on aura pas le temps de nous présenter concrètement les personnages que l'on suit. Ils seront habilement caractérisés à travers des éléments visuels mais on aura que très peu d'attachements émotionnels avec eux, en dehors de la volonté de les voir survivre, ce qui est le but premier du récit. Sauf que Nolan est bien trop bienveillant avec ses personnages. Dès la première scène du film, on se doute qu'il ne mettra jamais pleinement en danger les personnages que l'on est censé suivre. Car même si ils se trouvent au cœur de situations périlleuses, Dunkirk passe plus de temps à construire des portes de sorties à ses héros que de véritablement nous faire ressentir la possibilité qu'ils pourraient ne pas survivre. Même la scène de tension la mieux gérée, une plongée dans un cockpit d'avion en train d'être avalé par la mer, est gérée en parallèle du fait que des sauveteurs viennent en aide au personnage coincé dans l'avion. Voulant mettre en scène le miracle de l'opération Dynamo, il étend ce miracle à tout les niveaux ce qui rend l'ensemble redondant. Le film se résumant à diverses situations où les mêmes personnages sont sauvés encore et encore. Les enjeux s'estompant petit à petit, et la tension finit par se résumer par un détachement poli. Le tout manque d'implications et donc d'émotions, même si légèrement véhiculé par la performance toute en retenue de Mark Rylance.


Le casting est globalement très bons, mais les acteurs ont parfois si peu à jouer que donner le rôle à des acteurs de la trempe de Cillian Murphy ou Tom Hardy paraît vain mais cela permet d'avoir quelques têtes connues ici et là. Comme Kenneth Branagh qui a un rôle plus consistant et qui est impeccable. Tout comme le jeune Fionn Whitehead et Harry Stiles qui créent la surprise. Malheureusement, tout les récits ne servent pas au mieux les personnages. Ici encore, Nolan donne la sensation d'avoir pensé son film sur quelques scènes majeures et un concept, et qu'il a ensuite construit un récit tout autour. Et comme toujours, lors de ces scènes majeures le tout impressionne, comme le formidable segment sur la Royal Air Force, mais c'est aussi embourbé dans un concept un peu vain qui est avant tout là pour masquer l'absence de consistance du film. Nolan refuse le trop classique avec ce Dunkirk, le postulat était trop simple alors il se devait de le compliquer. Il va jouer sur trois récits à la temporalité différente continuant donc son obsession du temps. La jetée se déroule soit disant sur une semaine, la mer se déroule sur une journée et les airs sur une heure. Sauf que hormis les indications écrites en début de film, jamais on ne ressent vraiment l'écoulement du temps. Au mieux on à l'impression que la jetée se passe sur deux jours et la séquence dans les airs apparaît durer plus longtemps que une heure. Nolan peine à tenir son concept et se perd dans un montage alterné qui va surtout atténuer la pression de certains passages. Le tout ne servant au final que pour le build up de fin.


Alors que Christopher Nolan nous promettait une expérience viscérale et sans pareille avec son Dunkirk, il signe encore une fois un film-concept qu'il ne tient pas jusqu'au bout. Les promesses de l'oeuvre s'effritent petit à petit pour un tout qui valorise la prouesse technique au détriment du reste. Pourtant ne pas reconnaître le brio et la virtuosité de certaines séquences serait faire preuve de mauvaise foi, notamment pour toute les scènes dans les airs qui sont assez hallucinantes, mais Nolan peine à masquer le manque d'impact de sa démarche. Car en dehors de l'émerveillement visuelle, on ne retient que très peu de ce film. On est ni ému, ni foncièrement choqué par ce qu'on nous montre alors que l'on est face à une période sombre de l'histoire et un moment de désespoir absolue à l'échelle humaine. Mais ici, c'est le miracle qui prédomine et cela donne surtout forme à un film beaucoup trop propre et sage dans sa représentation de la guerre. L'expérience globale n'est donc pas à la hauteur de ses ambitions mais elle sait proposer en son sein des petites expériences plus tenues et tétanisantes, et même si Nolan se confronte plus que jamais aux limites de son cinéma, il arrive encore à en sortir des prouesses. Dunkirk n'en est donc qu'un bon film à défaut de pouvoir aspirer à mieux.

Frédéric_Perrinot
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le 25 juil. 2017

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