[Petite précision : J’ai pu découvrir le film en IMAX, dans le format d’image voulu par Christopher Nolan, le 1,43:1]


Christopher Nolan a souvent – que ce soit lors du climax d’Inception, par la structure de Memento ou par le scénario d’Interstellar – eu la volonté de jouer avec le temps, de le déformer, de le dilater, de le raccourcir. Dunkerque s’attaque donc à un événement plutôt connu de la 2nde Guerre Mondiale. Alors qu’un réalisateur lambda nous aurait peut-être livré un film de bonne facture, Nolan, pour sa part, utilise l’histoire de l’évacuation des troupes alliées de la plage de Dunkerque pour continuer ses expérimentations formelles sur le temps. Organisant son histoire autour de 3 temporalités (1 semaine sur terre, 1 jour sur mer, 1 heure dans les airs), Nolan envisage son film comme un film de guerre, évidemment, mais également (et peut-être davantage) comme un survival. Peu de combats sont à dénombrer finalement dans ce film de guerre, et, chose rare, on ne voit presque pas l’ennemi allemand. Le scénario met plutôt l’emphase sur l’incroyable épreuve que les soldats bloqués sur la plage de Dunkerque doivent surmonter pour peut-être pouvoir revenir chez eux. Au fond, Dunkerque nous raconte l’histoire de soldats bloqués dans le purgatoire, d’où ils peuvent apercevoir leur Patrie (Dieu) mais pas l’atteindre. Ainsi, lors de plusieurs dialogues, les soldats et officiers évoquent leur Patrie qu’on peut presque voir depuis la plage de Dunkerque. On peut presque la voir, mais l’atteindre semble impossible.


La situation des soldats bloqués là où ils ne veulent pas être étant par nature viscérale et complètement limpide aux yeux des spectateurs, Nolan n’a même pas besoin de forcer la symbolique plus que de raison,. Le film part de cette base narrative et thématique et ajoute tous les ingrédients nécessaires pour faire monter la tension : musique de Hans Zimmer insistant sur le temps qui passe et qui s’enfuit, montage alterné qui jongle entre plusieurs temporalités, filmage qui colle à la peau des personnages et même à la carrosserie des bateaux et avions présents sur le champ de bataille. Le format 1,43:1 accentue cette immersion et nous permet de voir « plus », ou en tout cas de voir comme un soldat présent sur place verrait. C’est pour nous mettre dans la peau des soldats alliés que Nolan ne montre jamais (ou presque) les soldats allemands, et c’est également pour ne pas briser l’immersion qu’on ne voit jamais de flash-backs nous montrant la vie des personnages avant la guerre. L’identification émotionnelle passe d’une autre façon. Elle passe par le personnage de Cillian Murphy qui refuse absolument de retourner à Dunkerque, par la scène qui se déroule dans le bateau échoué et où l’on se demande si on doit sacrifier une personne pour survivre, par la scène (vue de deux points de vue différents, à deux moments différents du film) où un pilote anglais dont l’avion a été touché amerrit et reste bloqué dans le cockpit alors que ce dernier prend l’eau. L’émotion passe par l’action, par les actes de survie, les réflexes humains dont font preuve les personnages, au détriment parfois de la rationalité. Dans les précédents films de Nolan, les personnages (Batman, Cooper dans Interstellar, Cobb dans Inception…) étaient, parfois en grande partie, définis et motivés par leur passé, et le cinéaste nous communiquait cela par des flash-backs. Ici, c’est le présent qui compte. Comme dans The Dark Knight Rises et dans Interstellar, c’est l’instinct de survie qui guide les personnages de Dunkerque. Une simple interrogation pèse sur les personnages : vais-je m’en sortir, ou non ?


On comprend les influences citées par Nolan pour Dunkerque, notamment celles des films muets. Nombre de séquences sont presque muettes, construites entièrement par la mise en scène et le montage. Bien sûr, certains dialogues explicatifs sont nécessaires pour comprendre les enjeux. Mais les interactions entre les personnages reposent sur leurs actions, pas sur leurs paroles. C’est là où le film est viscéral. La caméra est toujours en mouvement, on alterne en permanence entre les différentes temporalités, ces dernières s’entrecroisent et on retrouve les personnages à plusieurs moments différents, jusqu’à ce dernier tiers magistral où tout se recoupe. Il faut vraiment insister sur l’énorme exploit de cette fin de film qui récompense tous les efforts fournis pendant les scènes précédentes, et où terre, mer et airs se rejoignent pour aboutir à une chose : la victoire. Certes, comme l’a dit Churchill, c’est une énorme défaite militaire. Mais en soi, la survie individuelle de chaque soldat, et surtout de la majorité des 400 000 soldats bloqués à Dunkerque, est une victoire (« Survival is victory », comme le scandaient certaines affiches promotionnelles). Qu’est-ce que la survie pourrait être d’autre ? Quand les soldats rentrent en Angleterre, ils craignent un accueil hostile de leurs compatriotes. Mais c’est tout l’inverse qui se déroule : ils sont accueillis en héros simplement parce qu’ils ont survécu.


Le cinéaste britannique réussit donc son pari de réaliser un grand film de guerre sur le mode d’un survival movie où la déformation du temps aurait une place prépondérante. Encore une fois, il faut saluer le brio du scénario et du montage qui permettent à la structure d’être inédite et de, en même temps, tenir la route. Il ne faut cependant pas oublier l’incroyable casting qui incarne les espoirs et épreuves des soldats, qu’il soit composé de têtes connues (l’impérial Kenneth Brannagh, le désespéré Cillian Murphy, le masqué Tom Hardy, l’incroyable Mark Rylance) ou de débutants tels que Fionn Whitehead (le personnage principal ?), Tom Glynn Carney ou encore Harry Styles (oui, l’ex-membre des One Direction). C’est presque un sans-faute donc, même si ce n’est pas du tout le meilleur film de Christopher Nolan. En tout cas, il faut saluer l’ambition qu’il déploie sur plusieurs niveaux : le tournage en IMAX 70mm, l’utilisation d’effets spéciaux physiques et de bateaux et avions datant de la 2nde Guerre Mondiale, la structure du film presque expérimentale. A l’heure des reboots et franchises vides de sens que nous propose Hollywood, on est rassuré de pouvoir compter sur une poignée de réalisateurs capables d’allier grand spectacle et ambition.


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le 22 juil. 2017

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AntoLang

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