Lucile Hadžihalilović nous offre une nouvelle histoire de gamine objet d'institutions et d'expérimentations dans un univers mis en image avec une photo qui claque.


Comme les précédents, Earwig constitue une expérience cinématographique à part entière, le film oscille entre l'éblouissant et le déconcertant, laissant le spectateur dans un état de perplexité constant après l'avoir plongée dans une sorte de somnolence hallucinée (je garderai toujours un bon souvenir d'avoir vu "Innocence" au cinéma à la séance du matin après une nuit de fête).


"Earwig" commence de manière envoûtante avec une oreille, premier gros plan fixe qui définit immédiatement le ton du film qui sera une succession de vues figées.


L'histoire tourne autour d'Albert Scellinc, brillamment joué par Paul Hilton, gardien de Mia, une jeune fille aux dents de glace. Ils résident dans un appartement glacial. Le rituel troublant du remplacement des dents de glace de Mia est à la fois fascinant et perturbant, utilisant la glace pour créer ces dents de substitution de manière à la fois poétique et cauchemardesque.


Oppression


Là où "Earwig" devient véritablement troublant, c'est lorsque qu'on fait intervenir une surcouche hiérarchique : un employeur ordonne à Albert de préparer Mia à quitter cet appartement. Ca promet un début d'aventures qui n'arrive malheureusement jamais.


Et moi je veux bine faire l'effort de m'accrocher mais en vrai c'est assez pénible et ma femme m'en veut encore.


La réalisation de Hadžihalilović est à la fois la force du film et son talon d'Achille. Les images sont captivantes, à la limite de la beauté, les couleurs sont étouffantes, contribuant à l'atmosphère oppressante. La bande-son, minimaliste et envoûtante, ajoute à cette ambiance cauchemardesque.


Mais tous ces éléments renforcent également le sentiment d'Art pour l'Art. Le film semble faire du minimalisme mais ne sait pas gérer son vide. Il le comble par une image hyper léchée qui reste ennuyeuse et surtout des choix de montage / mixage son ringards au possible : on va couper les sons d'ambiance et surmixer certains sons pour habiler un peu l'ensemble. Genre des pas qui sonnent fort, des manipulations d'outils au premier plan sonore... Un traitement vu et revu.

A ce tarif, si on veut faire une ambiance mécanique chelou je préfère le taf de Car/Jeunet, et si on veut faire du planant minimaliste on va chez Tarkovski ou même du Carpenter.


"Earwig" aborde des thèmes complexes et poétiques, plus que les 2 précédents films et ça on ne peut pas lui retirer.


C'est un film qui restera dans votre esprit bien après la fin du générique non pas pour son ensemble mais plutôt par quelques bribes de séquences vraiment marquantes (le bar, le pont) ou par son incroyable travail de lumière construit sur 100% de plans fixes exeptés les travellings diégétiques du train qui viennent d'un coup révailler le spectateur par du mouvement. Si l'image est magnifique, elle ne sera jamais à la hauteur de ce que promet l'affiche.


Le film est une expérience qui demande une patience extrême, et qui laisse sans aucun doute des questions en suspens. Est-ce un cauchemar ? Une exploration des méandres de l'inconscient ? Celui de qui du coup ?


C'est en tout cas une métaphore incarnée sur la difficulté de communiquer entre la cinéaste et son spectateur.

Dlra_Haou
5
Écrit par

Créée

le 16 oct. 2023

Critique lue 25 fois

Martin ROMERIO

Écrit par

Critique lue 25 fois

D'autres avis sur Earwig

Earwig
mymp
6

L'oreille cassée

Il y a toujours, dans le cinéma de Lucile Hadzihalilovic, des enfants, mais des enfants que l’on soumet à une autorité adulte dont on ne sait vraiment les intentions. Toujours aussi ces endroits...

Par

le 23 janv. 2023

8 j'aime

Earwig
abel79
10

Darkside

Troisième long-métrage en 18 ans, "Earwig"concrétise brillamment ce qu’est le cinéma pour Lucile Hadzihalilovic : une vision du monde par le prisme du bizarre, de l’étrangeté, placé dans un...

le 19 janv. 2023

3 j'aime

3

Earwig
Marion_Nauche
6

Bloqués dans un mauvais rêve

Earwig est un monde quasi sans paroles, fait de grincements de plancher et de bruits de vaisselle; un monde sombre où la lumière reste bloquée par les volets ou le brouillard; un monde fait de...

le 10 août 2022

3 j'aime

Du même critique

Cloud Atlas
Dlra_Haou
9

Transgenre Next Gen

All boundaries are conventions waiting to be transcended. Le cinéma des désormais frère et sœur Washowsky est un cinéma politique. Non pas un cinéma politique au sens militant ou revendicatif, mais...

le 7 avr. 2013

9 j'aime

4

Chernobyl
Dlra_Haou
6

What is the Cost of Lies ?

Il va falloir cesser de se pâmer devant Chernobyl. Cette série bénéficie de belles qualités : Une photo nickelle ; un cadrage plutôt pas mal dans l'ensemble Une interprétation au top par les...

le 16 juin 2019

8 j'aime

12

Fleur de tonnerre
Dlra_Haou
3

Le cinéma imprimé

“Tout cela est mal écrit, mal joué, chanté faux, mais ça se vend quand même”. Fleur de Tonnerre - P.256 Fleur de Tonnerre, c'est un peu l'occasion de dire tout ce qu'on pense de Jean Teulé. Aussi...

le 10 juin 2013

7 j'aime

1