Il m’arrive souvent de cogiter sur les grandes questions de ce monde, un peu comme tout le monde, j’imagine. On m’avait conseillé Easy Rider, que je voyais comme un road movie des 60s prônant la liberté avec une ambiance un brin psychédélique. Je n’étais pas loin du compte d’un certain côté, mais d’un autre, je ne m’attendais pas à recevoir une petite claque bienvenue alors que mes attentes n’étaient pas forcément très hautes.


Le film nous fait d’abord croire que l’on va suivre les aventures d’un duo de motards à la solde de cartels de la drogue, qui achètent et refourguent de la dope pour se faire de l’argent. On est loin d’être dans le tort, mais ce n’est pas le point qui nous intéresse le plus concernant Easy Rider. En vérité, il s’agit de voyager à travers les immenses étendues américaines sous fond de musique rock des sixties, comme le classique « Born to be wild » de Steppenwolf, qui fait ici sa première apparition au cinéma. Easy Rider est un film culturel, mais surtout très philosophique, avec un vrai discours et une symbolique intelligente.


Le grand thème du film, c’est la liberté. Comment trouver la liberté ? Qu’est-ce que la liberté ? Quelle est la définition d’un « homme libre » et peut-on encore aujourd’hui se revendiquer comme tel ? Ce sont différentes questions auxquelles nos deux motards vont tenter de répondre à travers leur long pèlerinage sur les routes américaines. Sur leur chemin, ils rencontrent des hippies vivant en autarcie au milieu de nulle part, et un avocat des droits civiques alcoolique, campé par Jack Nicholson. A coups de discussions sous l’influence de la drogue autour de feux de camps, ces différents personnages échangent et offrent des éléments de réflexion sur la notion de liberté dans le monde moderne.


En choisissant des parias comme protagonistes, Hopper présente la liberté comme un facteur marginalisant, dans une société où les codes et les paradigmes semblent irrésistibles et inéluctables. Les deux motards sont deux électrons libres, parfaitement symbolisés par cette liberté qu’ils inspirent. Affranchis de toute autorité et de tout lien social extérieur, rien ne les retient. Les hippies présentent une alternative. Désintéressés par la vie en ville, dans la société moderne, ils vivent reclus, dans leur propres maisons, dans leur propre village, vivant grâce à leurs propres ressources, au milieu de nulle part. L’avocat, quant à lui, est le chaînon manquant entre ces marginaux et le reste du monde. Doté d’une situation sociale confortable, son comportement le contraint à enchaîner les gardes à vue, symbole même de la mise en quarantaine des individus indésirables en société.


Souvent seuls sur la route ou dans la nature, lorsqu’ils croisent sur leur chemin d’autres individus, l’accueil est rarement chaleureux. Regardés de travers, critiqués, moqués, ils sont systématiquement rejetés où qu’ils aillent. Et si le film alimente ce climat malsain tout au long du voyage des deux motards, c’est bien autour d’un feu de camp avec l’avocat que toutes les clés de réflexion concernant Easy Rider et sa conception de la liberté vont se dévoiler. Dans un dialogue qui paraîtrait anodin, l’avocat met en garde les motards et livre un discours des plus efficaces qui donne au film tout son sens.


Il suffit de citer ses propres lignes de dialogue : « Ne leur dis jamais qu’ils ne sont pas libres, ils se mettraient à tuer et à massacrer pour prouver qu’ils le sont. » « Ils vont te parler sans arrêt de liberté individuelle mais s’ils voient un individu libre, ils prennent peur. » La morale est ici résumée, avec une autre phrase marquante : « C’est dur d’être libre quand on est un produit acheté et vendu au marché. » Ainsi, la liberté effraie dans un monde où la société gouverne les actes et les envies, les individus prônant la liberté sont concernés comme des marginaux à fuir, ou à éliminer, car ils représentent un désordre qui n’est plus toléré.


Pour aller jusqu’au bout de ma réflexion, je suis obligé de SPOILER un peu dans ces deux paragraphes. C’est donc avec ces constats inquiétants faits par l’avocat que les deux motards poursuivent leur aventure. Mais voilà, l’avocat est assassiné dans son sommeil, comme un sombre écho à ses paroles de la soirée précédente, avant que les motards ne rallient le carnaval de La Nouvelle-Orléans. Dans l’une des scènes les plus étranges et les plus psychédéliques du film, ils participent à une mini-orgie dans un cimetière avec deux prostituées, tous sous l’influence d’une drogue extrêmement puissante. Enfin, en reprenant la route, ils sont interpellés par deux rednecks en voiture, qui se munissent d’un fusil, et tuent les deux motards l’un après l’autre, sans aucune raison.


La morale, ici, est que la liberté, telle qu’entendue par les motards, est devenue une utopie infranchissable. Poussée à l’extrême, elle mène au chaos (scène du cimetière où rien n’est plus sous le moindre contrôle). En société, au-delà de fasciner, elle effraie, et mène les individus à agir de manière totalement déraisonnable, comme en témoigne l’assassinat gratuit des motards, ainsi que celui de l’avocat. Après tout, ce bad ending est très judicieux, car il marque, mais respecte également le discours du film jusqu’au bout.


Easy Rider est un film qui permet de s’évader sous fond de bonne musique des années 1960, mais surtout de réfléchir sur une thématique très intéressante, et ce avec beaucoup de justesse. Sans superflu, il suit un raisonnement judicieusement construit, et qui permet d’intégrer la problématique du film sans entrer dans des schémas alambiqués.


Dans ce périple initiatique plein de symbolique, Easy Rider réussit la parfaite association entre une esthétique soignée, et une histoire intéressante. Jamais prétentieux mais plein de références culturelles et d’éléments de réflexion philosophiques, il ouvre la voie vers la décennie des seventies, celle de nouveaux chamboulements culturels, notamment en matière de cinéma.


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le 21 août 2016

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