Ce film s'appuie sur une histoire vraie, pleine de conflits et de mystères — qu'Agatha Christie n'aurait pas reniée pour l'un de ses romans — qui s'est déroulée au début des années 1930, sur l’île de Floreana, dans l’archipel des Galápagos, concernant un petit groupe de personnes... ou plutôt plusieurs petits groupes de personnes s'étant réfugiés dans ce lieu isolé, loin de toute civilisation... Écoutez, je vais essayer d'en révéler le moins possible dans ma critique pour vous laisser pleinement le plaisir de la découverte, si vous ne connaissez pas...
En tout cas, il y avait largement de la matière pour un film — à vrai dire, vu les défauts que je vais exposer plus loin, le format mini-série aurait même été plus bienvenu — et on ne peut pas donner tort à Ron Howard d'avoir voulu l'évoquer.
Reste que l'ensemble souffre de deux gros problèmes : la construction de certains personnages et la gradation dans la montée de la tension dramatique.
Pour ce qui est du premier problème, Vanessa Kirby et Daniel Brühl n'ont pas été gâtés puisque l'individualité des êtres qu'ils jouent n'est jamais bien mise en évidence, se limitant quasi uniquement à leurs rapports avec les autres. Le docteur, à qui Jude Law prête ses traits, se résume à quelques répliques du type voulant être un philosophe cynique et distant, nietzschéen (d'ailleurs, certaines de ses pensées sur l'état du monde à son époque ne sont pas sans rappeler nos chères années 2020 !). Pourtant, le fait qu'il trahisse constamment les principes qu'il édicte, l'éloignant de la figure qu'il aurait souhaité être, auraient pu offrir une matière psychologique riche si cela avait été bien exploité au lieu d'être à peine esquissé. Quant aux deux compagnons de la « baronne » et au fils d'un premier mariage du personnage de Brühl, ils se contentent juste d'être des silhouettes se pointant de temps en temps à l'écran. Ce qui fait que l'incarnation de tout ce petit monde paraît bien trop déséquilibrée et limitée.
Ce qui est rendu encore plus visible quand on perçoit que seules Sydney Sweeney et Ana de Armas parviennent à se distinguer — très largement — du lot, en partie parce que le film a plus à leur donner et les met mieux en valeur. La première — déglamourisée, tout comme, d'ailleurs, Vanessa Kirby, pour des raisons liées à leur personnage et aussi pour mieux faire saisir le décalage représenté par rapport aux autres qu'est l'objet de séduction interprété par Ana de Armas —, en dépit d'un accent allemand douteux, réussit à apporter tout son charisme à un personnage qui apparaît dans un premier temps naïf et effacé alors qu'il est fort, pragmatique et, donc, le plus à même de s'intégrer dans un environnement hostile. Ana de Armas, quant à elle, est aussi fascinante que détestable dans le rôle d'une nymphomane débridée, sans pudeur, mythomane, dominatrice, profondément égoïste, ne reculant devant aucune perversité pour son bon plaisir.
Sinon, l'autre gros problème, comme mentionné auparavant, c'est une montée des tensions sans gradation. Les conflits semblent, la plupart du temps, débarquer de nulle part, sans que le temps soit pris d'exposer et de creuser le moindre lien de causalité. Et quand il y a la possibilité d'une confrontation bien amenée — à savoir les potentielles suites d'un vol de conserves —, ça n'aboutit à rien. La construction globale, avec de longues ellipses passant d'une saison à une autre, n'arrange rien à l'affaire. Les événements retracés dans ce film sont condensés sur un an — dans la réalité, ça s'est déroulé sur à peu près deux ans, mais là n'est pas la question. Et à peine un peu plus de deux heures pour raconter un an de cohabitation tendue de plusieurs personnages, c'est trop peu.
Autrement, les thèses exposées dans le long-métrage pour expliquer les mystères encore irrésolus aujourd'hui sont tout à fait plausibles. C'est un point positif qui mérite d'être souligné.
Bref, pour conclure, Eden avait un potentiel de dingue. En effet, Ron Howard aborde un matériau de base passionnant, d’autant plus qu’il s’agit d'une histoire réelle incroyable, mais il ne parvient pas à en dégager toute la complexité humaine et morale. Quelques fulgurances, notamment en ce qui concerne les personnages d'Ana de Armas et de Sydney Sweeney, rappellent ce que le film aurait pu devenir s’il avait davantage pris le temps de respirer et d’approfondir ses figures. En l’état, c’est un récit captivant dans son principe, frustrant dans sa réalisation.