Si Ed Wood fait maintenant l'unanimité comme étant le meilleur film de son réalisateur (c'est clairement celui dont l'empathie pour les personnages n'est jamais forcée), Edward aux mains d'argent reste tout de même bien placé dans les travaux du bonhomme et sa reconnaissance publique. Toutefois, le temps passant, il apparaît maintenant que le syndrome burtonnien était déjà présent sur ses premiers travaux, et qu'il est particulièrement visible dans ce cas particulier. Il s'agit du culte que son réalisateur voue à ses Freaks, à un point tel qu'il place le reste de l'humanité en dessous de ces derniers. Leurs erreurs sont constamment excusées par leur ingénuité ou les circonstances, et la masse finit toujours (en partant des gens médiocres ou tarés) par rejeter la différence, ce qui rend d'autant plus louable la posture du Freak, qui devient un martyr moderne. C'est cette mécanique sociale qui s'applique constamment ici, en étant considérablement forcée (par le don/handicap des mains ciseaux, quand il blesse régulièrement des gens en faisant de grands mouvements). Tout ce qui provient d'ailleurs de la société est hypocrite, la morale (le test du repas de famille) et la religion (la bigote du quartier) sont rejetés d'office, seuls les sentiments, réels car à l'échelle de nos personnages, font loi. C'est en cela que tient autant la défaite du film que sa réussite. Il est socialement très destructeur car il montre comme étant inconciliable l'asocial talentueux et le grand méchant monde, mais l'abondant torrent sentimental qui inonde la plupart des scènes submerge facilement le spectateur. Cette ampleur sentimentale a l'épatante propriété d'isoler facilement le spectateur et de ne lui faire ressentir que les sentiments de son freak, et donc de forcer l'identification (le manichéisme favorise beaucoup le processus). Ainsi, Edward aux mains d'argent se trouve être un film qu'on aime particulièrement pour la grande empathie qu'il suscite (et quelques moments chaleureux), tout en restant un divertissement qui n'a que peu de prises sur le réel malgré son contexte très social de banlieues pavillonnaires. On y rajoute la sublime partition de Danny Elfman et l'esthétique tout en couleurs de Tim, pour obtenir le monument d'enfance qu'on connaît aujourd'hui, qui a toujours laissé un bon souvenir malgré son côté paranoïa du freak.

Voracinéphile
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le 13 janv. 2017

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