Pas de perspectives d'avenir sans médicaments?

Dernier film de Steven Soderbergh, Effets secondaires donne l’impression que son réalisateur n’a pas fini de nous raconter des histoires. Qu’il le veuille ou non, le spectateur se fait littéralement avoir au cours de ce thriller controversé dont l’issue nous laisse songeur.
Si le pitch penche du côté du pamphlet polémique (haro contre l’industrie pharmaceutique et le monde médical qu’il soudoie), le script est bien plus subtil qu’il n’y parait. En réalité, c’est un véritable polar que nous offre le futur jeune retraité du cinéma.

Emily projette sa voiture à pleine vitesse contre le mur d’un parking. Apparemment, elle a des penchants suicidaires. Elle présente le profil typique des personnes dépressives : son mari sort de prison, elle a fait une fausse couche, ils ont des problèmes d’argent, elle a été abandonnée par son père… elle n’est d’ailleurs pas dans le déni de cette maladie ; elle a été suivie par le passé pour dépression par une psychanalyste, et ce, avec succès.
Emily veut s’en sortir mais, pour des raisons financières, elle ne peut pas rester à l’hôpital. Le Docteur Banks, psychanalyste de garde au moment de son admission aux urgences, accepte donc de la faire sortir, à condition toutefois qu’elle vienne en consultation plusieurs fois par semaine et prenne des antidépresseurs.
Malgré ce traitement, la jeune patiente broie du noir. Banks décide alors de contacter le confrère qui l’a précédé afin de déterminer quel médicament conviendrait le mieux.

Soderbergh dresse une satire au couteau d’une société où la dépression est considérée comme une mine d’or pour qui veut faire du profit. Toute nouvelle pilule miracle fait l’objet d’une propagande intensive et les psychanalystes sont des alliés de choix lorsqu’il s’agit d’introduire sur le marché de nouveaux remèdes.
Le Docteur Banks est un de ces spécialistes prisés qui prescrit à tour de bras des médicaments que, d’ailleurs, il n’hésite pas à consommer lui-même. Comme il le dit si bien « la chimie améliore la vie ». L’acte irréparable que va commettre sa jeune patiente va cependant faire basculer ses certitudes…

Tout au long de la projection, le spectateur n’a de cesse de se demander qui de Jude Law (le Docteur Banks) ou de Rooney Mara (Emily) est la victime des circonstances.
Est-ce la substance qui détraque ou la personne qui l’a absorbée qui est détraquée ? Peut-on anticiper les effets des antidépresseurs sur une personne donnée ? La dépression n’est-elle pas devenue un lieu commun où l’on se retire au moindre état d’âme ?
Alors qu’Emily sombre, personne ne semble véritablement inquiet. Pour le docteur Banks, de nombreux autres médicaments peuvent être prescrits en cas d’échec du traitement ; pour ses collègues ou amies, la dépression est un passage obligé qui permet ensuite de « partager une expérience », pour son mari, il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer. Le réalisateur introduit l’idée d’une société où la culture du traumatisme est brandie comme une force. Il est impossible d’être heureux naturellement mais les pastilles sont une voie royale pour se réapproprier un avenir.

Dos au mur, le Docteur Banks doit remettre en cause toutes ses certitudes. L’acte d’Emily lui est directement imputé par la société, l’industrie pharmaceutique et ses patients. Ses partenaires le poussent vers la sortie pour ne pas être eux-mêmes éclaboussés par le scandale, ses patients commencent à mettre en doute l’utilité de leur traitement, sa femme s’éloigne…

Tout l’art de Soderbergh est de ne pas pousser le spectateur à prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes. Il est vrai qu’il est difficile d’éprouver de la sympathie pour qui que ce soit. Emily se retranche derrière son mal être pour ne pas assumer ses actes, Banks se réfugie derrière ses convictions pour ne pas avoir à se remettre en cause tandis que les lobbys et la justice tentent d’enterrer l’affaire quitte à sacrifier en chemin ses deux principaux acteurs.
La dernière demie heure du film est un véritable chassé-croisé au cours duquel les interprètes principaux (mention spéciale à Catherine Zeta Jones) jouent avec le spectateur.

Si l’issue du film ne laisse planer aucune ambiguïté, les nombreuses questions abordées sont une invitation à la réflexion. Le réalisateur lui, s’arrête là.
Ses dernières images de cinéma sont le reflet d’un monde conduit par la finance où les marginaux sont tenus à l’écart dans des grands centres fermés et perdent progressivement contact avec la vie réelle.
Hasard ou fait exprès, c’est aussi ce que Soderbergh reproche à l’industrie du 7ème Art dont il choisit de se retirer de lui-même, non sans avoir une dernière fois démontré les vertus de son cinéma.
C-L
7
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le 8 avr. 2013

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C-L

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