"I'm lookin' at a tin star with a drunk pinned on it."

Il y aurait de quoi trouver El Dorado très paresseux, comme un remake mal dégrossi de l'excellent Rio Bravo du même Howard Hawks sorti presque dix ans plus tôt. Les ressemblances sont bien trop nombreuses pour ne pas les envisager comme les deux faces d'une même pièce qui se répondent : John Wayne incarne un justicier ambivalent (John T. Chance en 1959 et Cole Thornton ici en 1967) en charge de faire respecter la loi suite à l'arrestation et l'emprisonnement d'un "méchant", il y a son ami alcoolique un peu malgré lui (Dean Martin / Dude d'un côté, Robert Mitchum / Jimmy de l'autre) qui a du mal à s'affirmer, un vieux briscard qui les aide dans leur tâche (Walter Brennan / Stumpy et Arthur Hunnicutt / Bugle), le jeune inexpérimenté de service (Ricky Nelson / Colorado et James Caan / Mississippi) et la femme amoureuse (Angie Dickinson / Faethers et Charlene Holt / Maud). Le lieu central est également le même, une prison à défendre contre des sbires cherchant par tous les moyens à faire s'évader leur patron, mais aussi le point névralgique des prises de décision et de l'organisation stratégique.


Vu sous cet angle, le jeu des correspondances, il s'agit presque d'un décalque...


Sauf qu'entre les deux films, dix années ont passé et tout ou presque a changé : Rio Bravo marquait le renouveau de Hawks après une série d'échecs (commerciaux, bien sûr, pas qualitatifs) et s'inscrivait dans le cadre d'un âge d'or du western, avec des figures emblématiques, vaillantes, fortes, courageuses, valeureuses, etc. À l'inverse, à la fin d'El Dorado, Wayne et Mitchum claudiquent dans la rue, avec leurs béquilles de handicapés, comme deux petits vieux en fin de soirée avec le col du fémur fracturé. Le ton n'a absolument rien à voir, et on est même tenté de faire le parallèle entre la fin des héros dans le film et la fin de carrière de Hawks dont ce sera l'avant-dernier film. À l'âpreté et la simplicité explosive du premier répondent la bonhomie et la complexité quelque peu artificielle du second.


Non, vraiment, les deux se ressemblent beaucoup mais n'ont en réalité plus grand chose à voir dès qu'on en gratte la surface.


El Dorado ne manque pas de qualités intrinsèques, dans le registre du western, que ce soit dans le concours de grandes gueules dont nous gratifie un casting de très haute tenue, ou encore dans la mise en scène de certaines séquences extrêmement tendues comme par exemple celle de l'attaque de l'église. Une séquence aussi pesante que... comique : les coups tirés sur les cloches pour perturber les malfrats logés en haut du bâtiment ont de quoi surprendre. L'humour, d'ailleurs, au même titre que toutes les petites imperfections du film, contribue à en faire une œuvre très attachante.


Les dialogues sont à ce titre farcis de saillies comiques (la comédie, un autre genre de prédilection chez Hawks qui pénètre ici le western), entre les oublis répétés de Mitchum quant à l'identité de James Caan / Mississippi, la description du remède de ce dernier contre la gueule de bois, la rivalité de mâles aussi bête que brinquebalante entre Wayne et Mitchum, les remarques cinglantes de la vieille canaille Bugle, et les tirades répétées à travers le film qui se font écho, à l'image du "call it professionnal courtesy" que se renvoient les deux principaux antagonistes (et qui sera repris dans John Wick 2, étrangement...). Même John Wayne se fout de la gueule de Robert Mitchum, ouvertement, on l'imagine de manière intra- et extra-diégétique, en se moquant de son incapacité à utiliser des béquilles de manière crédible.


El Dorado se range clairement du côté de la gloire passée et de la célébration d'une époque révolue, comme en attestent aussi les génériques soufflant un vent nostalgique à travers leurs chansons. Il ne sombre toutefois pas dans l'œuvre réactionnaire, il se contente d'alimenter l'écho en clin d'œil à Rio Bravo. Les héros n'en sont plus vraiment, ils sont vieux, fatigués, incapacités par une balle logée près de l'épine dorsale chez John Wayne et par un alcoolisme violent, maladif, chez Robert Mitchum. Le dernier temps fort du récit, avec leurs handicaps respectifs à leur apogée, fait ainsi plutôt penser à un baroud d’honneur de la part d'une bande d'estropiés qu'à une dernière fulgurance de la part de héros. Comme un regard désabusé, en filigrane, un peu cynique mais assez lucide, sur les ravages du temps et sur la fin d'une ère.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/El-Dorado-de-Howard-Hawks-1966

Morrinson
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le 8 sept. 2017

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