oct 2010:

Quelle bonne idée ont eu les organisateurs du 36e cinémed : un hommage à Marco Ferreri, avec une grande partie de ses films. Parmi cette profusion, j'ai opté pour "Le petit appartement", une de ses premières œuvres. J'avais vu plutôt récemment "El cochecito". Dans la même veine sociale et perfide, le duo Azcona / Ferreri nous sort un peu avant ce "pisito" un appartement qui représente pour une humble engeance un trésor inestimable, aussi indispensable que rare, un toit sûr, mais surtout une petite fortune, une sécurité financière assez efficiente pour faire oublier aux plus faibles leur pauvre humanité.

Le cinéma de Ferreri est d'ores et déjà en 1959 d'une fraîche cruauté, d'un cynisme volontiers révoltant de prime abord si l'on prend le film au premier degré. En réalité, sa filmographie dessine le parcours d'un homme sensible et révolté par la petitesse des hommes, leurs faiblesses et les hypocrisies qui servent à les masquer. Son cinéma n'est pas triste, ni désespéré. Bien au contraire, il affiche son sourire et forge des aiguillons afin de prendre conscience de certains problèmes fondamentaux.

"El pisito" s'attaque à une situation sociale qui n'a pas d'âge : la garantie d'un toit, ce qu'on nomme aujourd'hui le "droit au logement". Dans l'Espagne franquiste des années 60, autant dire que ce droit se résume au strict minimum. Un jeune homme en vient ici à épouser une vieille dame, locataire principale d'un appartement madrilène de 4 pièces pour ne pas être jeté à la rue, lui et les autres sous-locataires à la mort de la vieille. Cette situation incroyable va bien entendu aller en se dégradant et dévoiler la perfidie de sa jeune fiancée ainsi que les liens de dépendance, monstrueusement destructeurs et déshumanisants qui se nouent entre tous ces individus, esclaves de leur manque de ressources et de droits.

Les portraits successifs des différentes personnages sont croqués avec beaucoup de justesse. Les acteurs font très forts.
José Luis López Vázquez en type malléable, entre couardise et imbécillité, joue remarquablement l'espèce de voie apathique que le laissent suivre ceux qui lui veulent du bien. Bien entendu, à travers lui, ils ne visent que leur propre confort. Manipulé de A jusqu'à Z, il semble être au final le seul pour qui les sentiments ont encore une signification. Il navigue ainsi entre les desiderata des uns et des autres, en dilettante, complètement infantilisé par sa castratrice fiancée et son voisin et ami (José Cordero "El Bombonero") jusqu'à la petite vieille (Concha López Silva) avec qui s'instaure une véritable amitié.
Sa fiancée jouée par Mary Carrillo est, elle aussi, superbement interprétée. Les deux comédiens nous livrent une somptueuse et émouvante scène dans un bar, dansant joue contre joue au milieu de couples amoureux. Elle se rend alors compte qu'ils ne s'aiment plus vraiment et vont devoir vivre ensemble malgré leur désamour, sans désir, par obligation. Qui est le plus dépendant de l'autre? Horrible compromission affective, marchandage du cœur sont les petites tortures qu'une société injuste inflige aux plus démunis pendant que les riches vont en Suisse soigner des maux sinon imaginaires au moins anodins.

Bref, Ferreri et Azcona frappent dur. Le sourire de cette comédie est jaune. Trop cruel, trop amer, sans aucune concession. Un cinéma solidement attaché à des valeurs qui touchent.
Alligator
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le 14 avr. 2013

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