Tels Olive et Tom au meilleur de leur forme, Yvan (Bouli Lanners) et son cambrioleur, Elie (Fabrice Adde) consacrent trois jours à la traversée d’une Wallonie qui n’en finit plus de ne pas finir.
Peu probable, soit, mais Bouli Lanners sait se montrer convaincant. Armé d’un sens bien à lui de l’esthétique, il livre une flopée de clichés absolument magnifiques de cette région qui le vaut bien, lui conférant une dimension mystique et surréaliste. Dès lors, il n’est plus question de lieu ou de distance mais de voyage et de spiritualité.
Paradoxalement, le film est court. Une heure et vingt petites minutes pour aborder des sujets aussi vastes que la dépendance à la drogue, ses funestes conséquences, le deuil de ceux qui restent, les complexes rapports familiaux, la naissance d’une amitié fraternelle. Le tout avec classe et brio, en prenant le temps de s’attarder sur la beauté des choses simples, sur une averse ou un rayon de soleil, sur cette route qui n’a jamais été plus métaphorique. Et avec un humour – pas si belge que ça – omniprésent.

Une gageure.

Que Bouli Lanners relève avec une déconcertante facilité.
Son road-movie brille par une justesse de tous les instants. Poignant à ses heures, déchirant à l’heure du final, hilarant et absurde au moment opportun – Alain Delon, inénarrable – parfait dans son traitement et sa réalisation, porté par une musique résolument moderne et parfaitement adaptée.
Pourtant peu expérimenté derrière la caméra, Lanners possède déjà un sens inné de la synthèse dont peu de cinéastes peuvent se targuer. Point de superflu dans ce film mais une émotion de tous les instants, un road-trip brutal, sauvage, viscéral. Point de racolage, de digressions sans fondement, d’égarements mais une course décidée vers l’essentiel, le sujet.

Puis soudainement le vide.

Un final pas fini. Un dénouement mal dénoué.
Coup dur.
Te voilà perturbé, laissé pour compte sur le bord de la route, tel Elie au commencement. Avec les méninges en ébullition, la tête pleine de « et si… ». Alors tu rages, fustiges ce mauvais bougre de Bouli Lanners, ce sale blagueur belge. Pas drôle, ça non.

Et si la raison d’être de cet aller-retour inachevé était là ?

Car la réflexion personnelle commence là où s’arrête la pellicule. Bouli Lanners, malin farceur, t’as pris par la main pendant une heure et vingt minutes, puis l’a lâchée le moment venu. Pour que, bien lancé, tu poursuives l’idée seul, y apportes ton vécu, tes ressentis. Pour que, toi aussi, tu prennes la route et te questionnes.
-IgoR-
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 18 mai 2014

Critique lue 993 fois

23 j'aime

3 commentaires

-IgoR-

Écrit par

Critique lue 993 fois

23
3

D'autres avis sur Eldorado

Eldorado
DjeeVanCleef
9

Sur la route.

Où l'incongru cohabite sans gêne avec l'émotion. Où, même en Belgique, quand il te faut un type aussi suspect que l'arrière salle d'un resto chinois, tu prends Nahon. Un road-movie en break Chevrolet...

le 15 juin 2013

43 j'aime

3

Eldorado
Sergent_Pepper
8

Le pays où la vie est moins chère.

Dans Eldorado, les gens sont assez cons, et ils le savent. Alors, la plupart du temps, ils se taisent. C’est mieux comme ça. Parce que sinon, ils ont tendance à ne pas savoir quand fermer leur...

le 2 mars 2015

39 j'aime

5

Eldorado
takeshi29
8

Une nouvelle pépite belge

La Belgique est géographiquement petite mais cinématographiquement grande. La preuve, une nouvelle pépite signée Bouli Lanners (qui est également un formidable acteur) : film modeste, poétique, beau,...

le 18 juin 2011

35 j'aime

2

Du même critique

Les Lumières de la ville
-IgoR-
10

Big City Lights

Il est facile de réduire ce City Lights à sa bouleversante scène finale. Elle le vaut bien cependant tant elle se fait la synthèse de ce que le cinéma muet a de meilleur. L’absence de parole est...

le 3 avr. 2014

68 j'aime

13

The Big Lebowski
-IgoR-
9

De temps en temps y a un homme...

Avec ce film, j'ai découvert l’œuvre des frères Coen. Il reste à ce jour l'un de mes favoris. Jeffrey Lebowski (Jeff Bridges), qui se fait humblement appeler "Le Duc", est un fainéant de première...

le 24 nov. 2013

57 j'aime

13

Les Premiers, les Derniers
-IgoR-
8

Feu ! Chatterton

Un ciel sombre, chargé. Au travers filtre un mince rayon de soleil. Bouli Lanners pose l’esthétique qui habillera son film d’un bout à l’autre. Un poing sur la table. Puis il pose ses personnages. Un...

le 30 janv. 2016

56 j'aime

26