Parmi les quelques élégies réalisées par le grand Alexander Sokurov celle-ci demeure fascinante à bien des égards : à la fois taciturne dans son verbe quasi-fantôme et tout à fait éloquent dans ce qu'il propose en matières d'images puissantes et significatives ce moyen métrage filme la Mort au travail d'un système alors en plein déclin. Tournée quelques mois avant la chute définitive de l'URSS Élégie Soviétique s'ouvre sur des vues en plein air d'un cimetière aux résonances fantastiques, duquel le silence forcément solennel sied merveilleusement à l'intitulé de cette réalisation aussi composite que passionnante dans sa charge tour à tour cumulative et contemplative...
Entre l'énumération presque épuisante et inépuisable de dignitaires soviétiques présentés en la forme d'une curieuse séance de diapositive enchaînant autant de portraits en plans fixes et les prises de vue sporadiques d'une Russie perdue entre destruction et restructuration ledit métrage propose dans le même temps le portrait un rien impromptu du futur dirigeant Boris Eltsine, filmé dans son plus simple appareil dans les dernières minutes d'une bobine mêlée de concrétude et d'ascèse : au diapason d'un zoom avant auscultant sa solitude, l'homme sus-cité appose sa réalité triviale dans l'intimité d'une étrange pièce carrelée aux allures de cuisine bureaucratique ; un plan muet et pratiquement silencieux, modèle de prégnance jusqu'alors inédit dans l'Oeuvre encore naissante de Sokurov ( nous sommes en 1989, ndr ).
Hétérogène mais cohésive dans le même mouvement de simplicité poétique, Élégie Soviétique reste une proposition filmique à voir et à revoir, exigeante certes, mais résolument libre et entièrement représentative du Cinéma textuel et purement sensoriel de Alexander Sokurov. Un film portant en germe les obsessions d'un réalisateur n'ayant eu de cesse de rester cohérent d'une œuvre à la suivante, portraitiste averti ( Moloch, Le Soleil...) et conteur pittoresque de renom ( en témoignent les plus récents Francofonia et Fairytale ). Immanquable.