Elephant Man est une œuvre maîtrisée du début à la fin. Ce qui frappe immédiatement, c’est l’équilibre entre une mise en scène classique et l’émergence déjà claire de la patte de Lynch. À seulement son deuxième long-métrage, il prouve qu’il sait jouer « dans les règles » du cinéma traditionnel tout en insufflant une esthétique profondément personnelle, en particulier dans les moments oniriques comme les rêves de John.
La direction d’acteurs est remarquable, mais Lynch a aussi eu la chance d’être entouré d’interprètes de très haut niveau. Anthony Hopkins apporte une ambiguïté bouleversante à Treves, ni sauveur ni exploiteur pur, simplement un homme conscient de ses contradictions. John Hurt, sous un maquillage écrasant, parvient à exprimer une humanité fragile et bouleversante. Les dialogues, sobres et justes, évitent le pathos facile pour rester ancrés dans une vérité humaine.
Ce qui fait la force du film, c’est aussi l’expérience sensorielle : le spectateur ne se contente pas de regarder, il partage l’effroi, la pitié, la compassion des personnages. Lynch use du son (comme l’horloge résonnante) et du temps étiré pour nous plonger dans la perception des protagonistes. On retrouve déjà cette capacité à nous enfermer dans un vécu émotionnel qui sera au cœur de Fire Walk With Me.
Bien sûr, Elephant Man reste dans un cadre classique : Lynch ne se permet pas encore la radicalité absolue de ses œuvres futures. Mais c’est justement là que réside l’intelligence du film. Il prouve qu’il maîtrise les codes du récit linéaire et du drame en costumes avant de pouvoir, plus tard, s’en libérer et créer des œuvres totalement personnelles. C’est un film de transition, une démonstration qu’il est capable d’assumer le cinéma comme art autant que comme industrie.
En définitive, Elephant Man est un chef-d’œuvre d’équilibre : un drame historique sobre et universel, où transparaît déjà l’âme radicale de Lynch.