La lecture de ce texte court mais dense de Simone Weil m’a laissé une impression forte, d’autant plus que ses réflexions résonnent encore aujourd’hui avec une actualité troublante.
Ce que j’ai trouvé le plus juste dans son analyse, c’est sa manière de dévoiler la nature réelle des partis politiques. Ils ne sont pas des instruments de démocratie, mais des machines à fabriquer de la passion collective. En entrant dans un parti, on accepte de se soumettre à une ligne idéologique qui efface la pensée individuelle : « en entrant dans le parti, il accepte des positions qu’il ignore ; ainsi il soumet sa pensée à l’autorité du parti ». Dès lors, on ne pense plus en tant qu’individu, mais en tant que socialiste, républicain, monarchiste, etc. Le parti impose un cadre où le désaccord est interdit sous peine d’excommunication.
Weil montre aussi comment les partis ont appauvri le débat public en le réduisant à un simple affrontement binaire : il faut être pour ou contre. On retrouve ce mécanisme partout, de la politique aux sciences, jusqu’à l’éducation. J’ai moi-même fait les frais de ce formatage scolaire : on nous demande, dans les dissertations, de prendre position pour ou contre un texte, plutôt que de méditer sur ce qu’il dit et d’en faire une critique nuancée. C’est exactement cette logique d’opposition stérile que Weil dénonce.
Deux citations m’ont particulièrement marqué. La première, page 53 : « Tout homme qui a le pouvoir de brimer ou de tromper des hommes doit être obligé à prendre l’engagement de ne pas le faire. » Elle résume parfaitement la responsabilité morale qui devrait peser sur quiconque exerce une autorité. La seconde, page 62 : « Le chef du gouvernement ne doit pas être ‘responsable’ devant le pouvoir législatif. En cas de faute, il ne doit pas être renversé mais jugé. (…) Il n’importe pas comment le chef du gouvernement est nommé, mais comment son pouvoir est limité, comment l’exercice en est contrôlé, comment il est éventuellement châtié. » Weil replace ici la question du pouvoir non pas dans sa légitimité d’origine (élu ou non) mais dans ses limites, ses contrôles et ses sanctions possibles.
Seule réserve : la dimension très chrétienne du texte, qui personnellement m’a laissé de marbre. C’est d’ailleurs ce qui m’avait fait mettre le livre de côté la première fois. Mais en y revenant aujourd’hui, j’ai pu dépasser cet aspect pour me concentrer sur la profondeur politique et morale de son analyse.
En conclusion, Note sur la suppression générale des partis politiques est un texte fulgurant : difficile, parfois hermétique, mais d’une actualité brûlante. Simone Weil démasque les partis comme des structures qui étouffent la pensée individuelle et appauvrissent le débat, tout en posant des principes éthiques radicaux sur l’usage du pouvoir.