L'art de la perversité - "c'est pour de vrai ?"

Les points forts:



  • Le casting, avec Isabelle Hupert sensationnelle, qui propose un vrai travail de composition comme on en voit assez peu dans le cinéma contemporain: tout dans son corps (la voix, les regards, les expressions du visage) exprime l'enfant qui n'a jamais pu grandir par suite d'un traumatisme effroyable et qui s'est depuis inventé un monde, ou plutôt un rapport au monde, imaginaire, où rien n'est jamais "pour de vrai", comme disent les enfants (d'où la carrière d'éditrice de jeux vidéos, le mariage raté avec un écrivain, etc.). Laurent Lafitte est aussi excellent en pervers non assumé.

  • Le scénario, labyrinthique, qui s'attache moins à l'intrigue en tant que telle (l'identité du violeur) et davantage à la dynamique des affects, aux jeux pervers qui enlacent les désirs des uns et des autres. Il y a une telle densité dans les échanges entre personnages ! Depuis Festen de Vinterberg, je n'avais pas vu un film capable d'analyser aussi bien la perversité dans les rapports humains. Jamais on ne sombre toutefois dans le moralisme ou dans une représentation stéréotypée de la victime et du pervers (jamais non plus on ne cherche à excuser l'un ou l'autre).

  • La mise en scène, pleine d'énergie comme c'est souvent le cas avec Verhoeven. J'ai particulièrement aimé la scène du repas de Noël, où tout est millimétré: la disposition et les mouvements des personnages, le rythme des dialogues, les échanges de regards, les gestes des mains, etc. Tout ça parfaitement cadré, grâce à l'utilisation de la profondeur de champs.

  • Le ton du film, tragi-comique, qui repose sur un équilibre subtile entre le comique de caractère (le personnage du fils est hilarant) et le drame psychologique (le viol nous est présenté d'abord dans des ses prolongements affectifs, mais pas que), sans que jamais l'un ne vienne parasiter l'autre (la scène de l'urne funéraire vers la fin du film est un exemple parfait de cet équilibre). Encore une fois, je ne peux m'empêcher de penser à Festen, qui adoptait le même ton.


Le point faible:



  • Le montage, que j'ai trouvé un peu trop convenu. De façon générale, les séquences s'enchaînent de façon très fluide, mais l'usage pépère du champs / contre-champs dans les scènes de dialogue par exemple ne rend pas justice au travail d'actrice d'Isabelle Hupert. La scène du dialogue avec le directeur de la prison aurait gagné à être filmé en plan fixe, s'attachant exclusivement aux réactions d'Isabelle Hupert. Plusieurs fois je me suis pris à imaginer comment Paul Thomas Anderson aurait filmé ces scènes, exploitant davantage les ressources de ses acteurs.


En résumé : un film exceptionnel, que je recommande très, très chaudement, et qui rappelle les années hollandaises de Verhoeven (Turks Fruit). Le scénario peut néanmoins perdre les spectateurs habitués aux films qui ont une structure classique en trois actes ou qui n'apprécient pas le jeu d'acteur à la française, volontairement "artificiel".

Créée

le 31 janv. 2017

Critique lue 262 fois

Thomas Cortado

Écrit par

Critique lue 262 fois

D'autres avis sur Elle

Elle
Velvetman
7

Désir meurtrier

Le contrôle et la manipulation sont des thèmes récurrents dans les films de Paul Verhoeven notamment quand ce dernier s’entoure de personnages féminins comme l’étaient Nomi (Showgirls) ou Catherine...

le 26 mai 2016

106 j'aime

14

Elle
mymp
5

Prendre femme

Évidemment qu’on salivait, pensez donc. Paul Verhoeven qui signe son grand retour après des années d’absence en filmant Isabelle Huppert dans une histoire de perversions adaptée de Philippe Djan,...

Par

le 27 mai 2016

86 j'aime

5

Elle
pphf
5

Dans le port de c'te dame

On pourra sans doute évoquer une manière de féminisme inversé et très personnel – à peine paradoxal chez Verhoeven : on se souvient de la princesse de la baraque à frites dans Spetters, qui essayait...

Par

le 3 juin 2016

73 j'aime

20

Du même critique

El Camino - Un film Breaking Bad
ThomasCortado
6

L'Anti Star Wars: The Last Jedi

Du point de vue de la pop culture, El Camino est l'antithèse parfaite du dernier Star Wars, The Last Jedi. Là où le film de Rian Johnson prenait des libertés par rapport aux codes narratifs et...

le 13 oct. 2019

2 j'aime

Rogue One - A Star Wars Story
ThomasCortado
7

Je veux deux heures et demi de Dark Vador massacrant du rebelle dans des couloirs...

Les défauts: - un premier acte trop décousu, où l'on saute d'une planète à l'autre, sans avoir eu le temps de vraiment se familiariser avec les nouveaux univers ou de comprendre les enjeux du...

le 19 déc. 2016

2 j'aime

Ça
ThomasCortado
7

C'est bien mais ça serait encore mieux en baissant le volume.

Les points forts: Les acteurs: Les gamins sont excellents, en particulier Finn Wolfhard (Richie), de Stranger Things, Jaeden Lieberher (Bill), de Midnight Special, Sophia Lillis (Beverly), Jack Dylan...

le 14 sept. 2017

1 j'aime

2