Ces dernières années, Paul Verhoeven se fait discret n'ayant que 3 films à son actif depuis 2006, où il avait signé le très réussi Black Book, alors qu'il avait pour habitude d'être un réalisateur assez prolifique avant les années 2000. Il faut dire que ses derniers films n'ont pas vraiment rencontré le succès ou lorsque c'était le cas, le résultat ne rendait pas très fier le metteur en scène qui fut assez déçu de son très moyen Hollow Man. Néanmoins, le réalisateur à eu une carrière des plus prestigieuses, où les films à la qualité plus dommageable se comptent véritablement sur une main car il n'a fait qu'Hollow Man, le pas terrible Showgirls et l'expérience ratée que fut Tricked en 2012 qui portent vraiment préjudice à sa carrière impeccable. Il n'y a pas vraiment de retour de Verhoeven a espéré au final, car même si il est moins présent, il n'a jamais véritablement déçu et il prouve encore une fois le grand cinéaste de le subversion qu'il est avec sa première incursion dans le cinéma français.


Adaptant un des romans de Philippe Djian, il reste dans ses thématiques et sa façon de faire le cinéma, construisant un thriller sexuel dérangeant tout en s'imposant au sein d'un genre pour mieux le déconstruire et le réinterroger, ici s'attaquant tout simplement au film français. Car il ne fait pas une parodie de film français vu par un étranger, il réalise pleinement un film français qui vient dépoussiérer un genre qui n'évolue pas depuis plusieurs années, venant nous battre sur notre propre terrain. Il porte toujours un regard assez unique sur le sexe, l'exploitant comme une chose hors norme où même ce qui est considéré comme moralement déviant et au final un désir comme un autre. Il porte un regard qui peut paraître immoral sur ce rapport au sexe mais ne cède jamais à la moralisation ou même le jugement, préférant avoir une approche beaucoup plus intellectuelle et naturaliste confrontant la norme, l'être vivant, et l'hors norme, sa sexualité. Ici même la personne la plus terre à terre et sophistiqué du film tombe dans l’irrationalité à travers sa sexualité. Le désir est incontrôlable car il est inexplicable, il prend forme dans les bas instincts et c'est ce qui a souvent fasciné Verhoeven, l'humain avec sa double identité, celle publique et celle sexuelle. Une personne étant différente une fois soumise à ses désirs, cédant à des instincts plus primaires.
Le film va faire une étude de cela au sein d'un scénario dense et brillant qui interroge les relations dominants/dominés, qui ne se résume pas forcément à qui à le pouvoir sur qui mais plutôt sur qui et assez malin pour s'affranchir de celui-ci. Trouver le compromis entre la soumission et la dominance. Le personnage principal devient en ça, un exemple de force, d'intelligence et d'irrévérence étant autant soumise par sa propre condition, que dominatrice de celle des autres et de son propre univers. Le personnage est absolument fascinant dans sa psychologie et la voir évoluer dans son quotidien est un spectacle de chaque instants. Au final, la viol qui ouvre l'intrigue n'est qu'une sous-intrigue parmi tant d'autres, devenant un élément presque anecdotique dans une vie chaotique et en perpétuelle mouvement. On se retrouve face à un quotidien peu banal où l'on nous questionne sur l'héritage, la pression sociale et religieuse, l'hypocrisie d'un univers de façade qui cache ses perversion pour mieux s'en délecter et où le tout atteint une universalité qui frappe en plein fouet. Tout le monde étant victime de sa famille, des attentes de ses proches et de l'aspect incontrôlable de ses désirs. Le récit va parler un peu de tout ça au sein d'intrigues et de symboliques parfaitement gérés pour la plupart, même si une ou deux sont plus discutables. Comme l'intrigue entourant le fils de Michèle et sa petite amie ou encore la relation entre Michèle et sa mère. Ses deux éléments sont au final grossièrement écrit et assez prévisible dans le message que cela délivre. Tout ce qui entoure le métier de Michèle est assez mal amené et traité aussi, ayant clairement des années de retard quand à la vision du jeu vidéo et qui fera clairement tiquer les connaisseurs. Par contre même si l'identité du violeur est plutôt prévisible, le développement de ce rapport de force entre les personnages est aussi passionnant que dérangeant surtout qu'il explore vraiment des situations inattendues. On retrouve aussi une critique de la religion particulièrement habile, retranscrite par des dialogues prodigieux et la conclusion absolument parfaite plonge dans des réflexions à la noirceur aussi malaisante que jouissive.
Le casting est excellent. Même si certains acteurs sont légèrement en dessous en début de film, il s'améliore au fur et à mesure que leurs personnages gagnent en épaisseur. Isabelle Huppert tient clairement le film sur ses épaules - étant filmée avec grâce par Verhoeven qui en fait clairement une muse - et elle est absolument géniale. Sa personnalité déborde de chaque plans et vient frapper le spectateur en pleine face. D'une justesse et d'une intensité inouïe, elle offre une des prestations les plus troubles et fascinantes de sa carrière. On retiendra aussi les performances impeccables de Laurent Laffite, Alice Isaaz qui est totalement habitée par son rôle et est prodigieuse, ainsi que Charles Berling qui s'impose par un flegme en décalage du reste soulignant bien l'aspect paumé de son personnage et faisant merveille dans les moments plus comiques. Le film ne lésinant pas sur l'humour noir.
La réalisation est maîtrisée mais un brin générique. Verhoeven prenant l'esthétisme classique des films français, il impose à l'ensemble un côté un peu austère et l'intrigue évoluant dans un univers bourgeois donne parfois à l'image un côté lisse assez particulier. C'est un parti pris totalement assumé et bien tenu mais ça pourra déranger certains qui trouveront un manque de fulgurances visuelles surtout à travers une photographie très sombre et très sobre. Le montage est par contre astucieux dans le déroulé des scènes, ménagent avec habilité les chocs et les révélations et gérant la tension avec maestria. La musique est peu marquante mais accompagne bien l'ambiance malsaine du film. La mise en scène de Paul Verhoeven est minutieuse, bourrés d'idées dans sa manière de faire évoluer le regard du public sur une même scène. Faisant vivre la scène du viol sous l'angle de la réalité puis sur celui du fantasme de son héroïne en prenant à chaque fois une approche différente mais de manière subtile. Que ce soit dans ses choix de cadrages, ses symboles visuelles et etc, le film est imprégné d'une grâce et d'une élégance chirurgicale qui contraste avec l'aspect sordide des situations accentuant l'impact sur le spectateur. C'est bien pensé, très bien mené et le tout se montre admirable de maîtrise et d'inventivité sans jamais tombé dans l’esbroufe facile préférant l'intelligence dans la composition du plan, que la démonstration de force dans des mouvements de caméras ambitieux mais vain.


En conclusion Elle est un excellent film. Une oeuvre aussi fascinante que dérangeante et qui est loin d'être facile à digérer de prime abord. Mais la force du propos qui trouve une universalité bouleversante et l'intelligence des questionnements qui s'affranchissent de toute moralité pour offrir une étude passionnante et sincère de l'âme humaine et de ses déviance, font que l'on est totalement happé par elle et qu'elle continue de nous hanter bien après l'avoir vu. Hors de toute hypocrisie, le film montre la triste réalité du désir humain, aussi concret qu’incontrôlable même dans ses pires extrémités. L'humain se dissocie face à sa propre sexualité et Verhoeven se sert de cela pour mettre en image de manière magistrale, un portrait de femme sensible et touchant tout en étant perturbant et insaisissable. Soutenu par un très bon casting et malgré quelques défauts ici et là, on reste face à une oeuvre rare et inoubliable qui ne laissera personne indifférent.

Frédéric_Perrinot
9

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le 30 mai 2016

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