"La honte n'est pas un sentiment assez fort pour nous empêcher de faire quoi que ce soit."

Dix ans qu'on l'attendait celui-là ! Enfin pas vraiment ce film en particulier mais depuis "Black Book", on se languissait de voir un jour sur grand écran une nouvelle réalisation de Paul Verhoeven. Le Hollandais Violent s'installe donc en France de manière tout à fait surprenante et filme une adaptation d'un roman de Philippe Djian intitulé "Oh..." dont le scénario est ici signé par David Birke. Le roman, assez brillant, nous plongeait dans les pensées de Michèle, une femme aux relations complexes (avec son fils, avec son ex-mari, avec sa mère) et au passé perturbé (son père est un assassin croupissant en prison) qui se fait violer et qui, au lieu d'appeler la police, continue sa vie comme si de rien n'était. Le sujet sulfureux avait de quoi parler à Verhoeven. Il s'en empare à pleines mains et s'amuse avec comme un petit fou.


On se retrouve vite dans un film tordu, malsain et complexe où l’ambiguïté est partout et l'ironie se promène gentiment. Sous ses airs détachés, Michèle se met à rechercher son violeur qui ne la laisse pas tranquille (avec sms salaces et tâche de sperme sur le lit) tout en menant sa vie du mieux qu'elle peut, devant faire face à un ex-mari qui se recase, un amant trop collant, un fils s'engluant dans une relation sans intérêt, une mère qui veut se marier à nouveau et un voisin plutôt charmant. Largement fidèle au livre de Djian, "Elle" est un portrait de femme troublant et ambigu, un personnage passionnant à voir évoluer dont on ne peut prévoir les réactions, déroutantes ou choquantes. Dans ce rôle, Isabelle Huppert est forcément parfaite. L'actrice maîtrise l'ironie comme personne et affiche un air complètement détaché qui va à ravir à son personnage. Magistrale, dérangeante jusque dans ses sourires et ses pulsions (qu'elle assume sans problèmes, allant jusqu'à dire que "la honte n'est pas un sentiment assez fort pour nous empêcher de faire quoi que ce soit"), Huppert porte tout le film sur ses épaules, aux côtés de seconds rôles surprenants (notamment Laurent Lafitte). Certes, en pur terme de réalisation, Verhoeven affiche une volonté de réalisme froid parfois un peu gênante (bien que très révélatrice dans les scènes de viol) et l'ensemble n'est pas sans compter quelques longueurs. Il faut aussi souligner que certains acteurs ont parfois l'air à côté de la plaque, gâtés par des répliques que seule Huppert assume avec délice mais reconnaissons à l'ensemble une certaine férocité mordante, faisant de "Elle" un mélange assez étrange s'éloignant des sentiers battus, largement dominé par une volonté de secouer le spectateur et de le confronter à ses pulsions. Forcément dérangeant, forcément réussi.

Alexandre_Coudray
7

Créée

le 4 juin 2016

Critique lue 300 fois

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